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Résumé de l'article
Par Joe Saadeh
Extrait de l'article
Le président Donald Trump estime que la présidence dispose de vastes pouvoirs dont ses prédécesseurs n’ont fait qu’un usage limité. Et si des obstacles se dressent, les tribunaux sont prêts à lui fournir l’avis juridique qui lui convient, puisqu’il les a saturés de juges conservateurs—six des neuf juges de la Cour suprême des États-Unis, dont trois qu’il a lui-même nommés.
La théorie de l’expansion du pouvoir exécutif révèle une transformation profonde du mode de gouvernance aux États-Unis. Elle rompt l’équilibre entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire au niveau fédéral, tout comme elle affaiblit l’équilibre entre le gouvernement fédéral et les droits des États. Il s’agit d’un changement structurel qui dépasse la politique quotidienne, et dont profite tout parti qui contrôle Washington. Cette dynamique reflète une polarisation politique profonde, qui paralyse les compromis bipartisans au Congrès et alimente les attentes des électeurs que le président agisse pour compenser l’immobilisme législatif.
L’évolution des pouvoirs exécutifs
L’élargissement de l’autorité présidentielle n’est pas un phénomène nouveau, mais une tendance croissante. Les « Pères fondateurs » avaient voulu un système équilibré où chaque pouvoir contrôle l’autre. Mais l’appétit des présidents pour plus d’autorité a très tôt suscité des conflits autour de l’exécutif.
La « théorie de la gérance », défendue par le président Theodore Roosevelt, posait que le président détient un mandat du peuple et peut donc prendre toute décision qu’il juge dans l’intérêt public, sauf interdiction constitutionnelle explicite. À l’opposé, le président William Howard Taft défendait une « interprétation stricte », limitant les prérogatives présidentielles aux compétences précisément énoncées par la Constitution.
Des périodes critiques comme la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale ont fortement accru les pouvoirs présidentiels. Franklin Delano Roosevelt, élu à quatre mandats, lança de vastes programmes sociaux qui sortirent les États-Unis de la dépression pour les mener à une économie de guerre puis à la prospérité. Ces initiatives ont établi un précédent en faveur d’un leadership présidentiel fort en temps de crise.
Après la guerre, l’Amérique a connu une « présidence impériale », surtout en politique étrangère, les présidents envoyant des troupes sans déclaration officielle de guerre—une compétence réservée au Congrès. Les administrations suivantes ont encore renforcé la fonction : Reagan invoqua la « suprématie présidentielle en temps de crise », tandis que George H.W. Bush et ses successeurs eurent recours aux décrets exécutifs pour réinterpréter les lois au profit de l’exécutif plutôt que de l’intention du Congrès.
L’exécutif dans la gouvernance moderne
Les décrets exécutifs sont devenus des outils puissants, permettant au président de définir des politiques de manière unilatérale. En juillet 2025, par exemple, une seule administration publia des ordres concernant le sport universitaire, le sans-abrisme, l’intelligence artificielle et les exemptions réglementaires. Ils reflètent souvent des priorités idéologiques, comme l’abrogation de politiques climatiques adoptées par l’administration précédente ou le reclassement du sans-abrisme comme problème de santé mentale plutôt que social.
Le « préemption réglementaire » est un autre mécanisme : les agences fédérales annulent des lois étatiques par voie de règlements. Ainsi, tandis que des États imposaient des normes d’émissions et infligeaient des amendes, l’administration Trump accorda plusieurs années d’exemptions à diverses industries.
L’approbation du budget fédéral est devenue également un instrument de pression présidentielle. Au lieu d’un compromis bipartisan respectant la règle des 60 voix au Sénat, les négociations se déroulent désormais entre factions majoritaires des deux chambres, produisant des textes unifiés qui contournent la procédure législative traditionnelle. Un débat houleux reprendra la semaine prochaine afin d’éviter la fermeture du gouvernement à la fin du mois si le Congrès ne prolonge pas les crédits budgétaires.
L’érosion des droits des États et le fédéralisme partisan
Des politiques historiquement confiées aux États—telles que l’éducation, la santé, et la police—sont de plus en plus remises en cause par la pression fédérale. L’administration actuelle réduit fréquemment les financements fédéraux afin de contraindre les États à s’aligner sur ses politiques.
Cette pratique a affaibli la protection constitutionnelle des droits des États face au pouvoir fédéral, la loyauté partisane primant désormais sur les considérations constitutionnelles ou éthiques.
La politique migratoire de Trump illustre bien ces tensions. Ses mesures restrictives—construction du mur frontalier, expulsions accrues—ont suscité la résistance de certains États et autorités locales appliquant des politiques plus souples. Leur mise en œuvre a donc été inégale, réussissant surtout là où les autorités locales partageaient la loyauté partisane de Washington. Trump est même allé jusqu’à déployer la Garde nationale dans certains États sans l’aval de leurs gouverneurs, en violation de la loi.
Conséquences constitutionnelles et institutionnelles
Cette mutation du pouvoir provoque de graves tensions constitutionnelles sur l’équilibre des institutions. Trump a contourné le rôle du Congrès en exploitant ses divisions, recourant à la « réconciliation budgétaire »—un accord entre majorités républicaines des deux chambres—qui a permis des dépenses massives sans les 60 voix requises au Sénat. L’administration a ainsi pu imposer son agenda politique en contournant les garde-fous législatifs.
Le Congrès peine également à préserver son droit exclusif de déclarer la guerre. Les présidents envoient des troupes à l’étranger pour 90 jours sans déclaration formelle, plaçant le Congrès devant le fait accompli.
Le judiciaire, de son côté, a été entraîné à légitimer ces excès, les tribunaux validant l’élargissement des pouvoirs présidentiels et accordant l’immunité aux présidents pour tout « acte officiel », sans en préciser les limites. Les récents arrêts de la Cour suprême sur les pouvoirs de la présidence ont réduit la confiance du public envers l’institution, dont les taux d’approbation frôlent les plus bas niveaux historiques. Cette érosion de légitimité met en cause son efficacité comme contre-pouvoir constitutionnel.