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Résumé de l'article
Par Elias El Zoghby
Extrait de l'article
Si l’adage « l’histoire se répète » reste valable, le Liban en est l’exception flagrante. Ici, les frontières entre victoire et défaite sont irrémédiablement brouillées, les auteurs de l’histoire sont multiples, et la responsabilité des guerres se perd entre déni et aveux à demi-mots.
Tel est le prélude à l’impasse actuelle : Israël proclame haut et fort sa victoire, tandis que « Hezbollah » refuse catégoriquement d’admettre sa défaite. Résultat : une paralysie politique et des négociations au point mort, menées par l’émissaire présidentiel américain Tom Barrack, enlisé dans une boucle de discussions stériles.
L’impasse diplomatique est difficile à dissimuler, malgré des formules édulcorées comme « une réunion excellente » — les mots employés par Barrack après sa rencontre avec le président du Parlement Nabih Berri. Une rhétorique qui n’est pas sans rappeler celle de son supérieur, le président Donald Trump, adepte des « fantastique », « formidable » et autres superlatifs après chaque sommet international, comme lors de sa récente tournée dans le Golfe.
Au cœur de la mission de Barrack se trouve le véritable « nœud gordien » libanais — un dilemme complexe, insoluble. Israël, se considérant comme vainqueur de la récente « guerre d’appui », exige que ses conditions soient acceptées avant toute cessation des frappes ou retrait militaire. De son côté, « Hezbollah », refusant de reconnaître toute défaite, rejette ces conditions et inverse les priorités.
La principale exigence d’Israël est le désarmement de « Hezbollah » sur l’ensemble du territoire libanais, conformément aux termes du cessez-le-feu du 26 novembre. « Hezbollah », quant à lui, pose quatre conditions préalables avant même d’ouvrir un dialogue sur ses armes dans le cadre d’une éventuelle « stratégie de défense » : l’arrêt des frappes et assassinats, le retrait israélien, la libération des prisonniers et le lancement de la reconstruction.
Le fossé entre les deux parties demeure abyssal — trop profond pour être comblé par les propositions de Barrack, la « réponse globale » du gouvernement libanais ou les manœuvres de Berri, y compris sa dernière tentative de trêve de deux semaines ou d’un mois.
Il est frappant de constater que le trio au pouvoir — le président, le président du Parlement et le Premier ministre — continue d’éviter de soumettre ces propositions au Conseil des ministres ou au Parlement, les deux instances constitutionnelles habilitées à statuer sur ces questions. En associant le président de la Chambre et d’autres figures aux négociations, le président a en réalité abandonné sa prérogative constitutionnelle en matière de politique étrangère.
Les observateurs notent que les dirigeants libanais ont eux aussi cédé à la tentation des phrases creuses, ponctuant leurs déclarations et réponses à Barrack de formules rassurantes, comme le rappel routinier que « la décision de limiter les armes a déjà été prise », citant le discours d’investiture présidentielle, les déclarations ministérielles, et ainsi de suite.
Mais les dirigeants libanais semblent incapables — ou trop effrayés — d’aborder le cœur de la mission américaine : établir un calendrier de désarmement par décision du Conseil des ministres. Leurs conseillers contournent systématiquement cette exigence, sous prétexte d’éviter une guerre civile.
Ce flottement dangereux — entre les pressions israéliennes, l’intransigeance de « Hezbollah » et l’indécision confuse des autorités libanaises — met en péril la mission de Barrack. Qu’il revienne pour une quatrième tentative ou qu’il se détourne définitivement de cette impasse, l’avenir du Liban reste suspendu à un fil.
Le salut du Liban dépend d’un impératif : le rétablissement effectif de sa souveraineté, avec le monopole exclusif de l’État sur la détention des armes. C’est sur cette base que les réformes pourront être entreprises, que les investissements et les aides internationales pourront affluer. Faute de cela, aucune diplomatie arabe — notamment avec les pays du Golfe — ne pourra ressusciter réellement le Liban. Les gestes resteront symboliques, tant que le pays n’aura pas repris la maîtrise de ses décisions et de son armement légitime.
Dans ce contexte, la France semble vouloir combler le vide laissé par Washington, en accueillant aujourd’hui le Premier ministre libanais Nawaf Salam à Paris. Mais les tentatives du président Emmanuel Macron dans le dossier libanais, notamment après l’explosion du port de Beyrouth en 2020, se sont soldées par des échecs. Elles n’ont ni apporté de solution, ni suscité d’espoir tangible.
Ce qui est véritablement inquiétant, c’est que cette succession de rôles, d’initiatives et de médiations entre capitales mondiales demeure, jusqu’à présent, incapable de résoudre l’impasse libanaise chronique. Une situation qui rappelle la légende d’Alexandre le Grand tranchant le nœud gordien à l’épée. Sauf qu’au Liban, l’épée est israélienne — et le cou est libanais.
Et dans cette noirceur politique et ce chaos existentiel, une dernière ironie s’impose : celle de voir politiciens et médias se divertir avec des jeux de mots — « optimisme », « pessimisme », « optipessimisme » — comme si la crise libanaise n’était qu’un exercice de style littéraire hérité d’un âge de décadence. Entre la larme et le sourire, parfois, le rire n’est qu’une autre forme de larmes.
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