Les routes libanaises comptent aujourd’hui parmi les plus meurtrières au monde. Les statistiques des ministères de l’Intérieur et de la Santé, ainsi que celles d’ONG spécialisées dans la sécurité routière, révèlent une détérioration alarmante ces dernières années. Selon l’Association libanaise pour la sensibilisation sociale (YASA), le nombre de victimes de la route a augmenté de plus de 30 % au cours des sept premiers mois de 2025 par rapport à 2024. Rien qu’au mois d’août, les accidents ont fait 68 morts, soit au moins deux décès par jour. Si cette tendance se poursuit, le bilan annuel pourrait dépasser les 700 victimes cette année.
À la fin août, les autorités avaient déjà recensé 1 693 accidents, provoquant 346 morts et 2 754 blessés. Ce chiffre ne prend même pas en compte les accidents de motos. Huit victimes sur dix sont des hommes, et près de la moitié ont entre 18 et 40 ans. Les piétons représentent environ 30 % des morts et blessés.
La crise est multidimensionnelle, touchant à la fois les aspects humains, sociaux et économiques. Elle est aggravée par des comportements irresponsables, des infrastructures en ruine, des lacunes législatives et une application sélective des lois.
L’erreur humaine : principale cause
L’erreur humaine est au cœur du drame routier libanais, responsable de près de 80 % des accidents. Les conducteurs roulent à vive allure, dépassent dangereusement, ignorent la priorité, utilisent leur téléphone au volant ou conduisent sous l’effet de l’alcool et de la drogue.
La distraction liée au téléphone réduit l’attention, tandis que l’alcool et les stupéfiants ralentissent les réflexes et faussent l’appréciation des distances. Un taux d’alcoolémie aussi bas que 0,02–0,05 mg/L dans le sang peut altérer la vision ; entre 0,05–0,08, le temps de réaction se dégrade encore davantage.
Les piétons, eux aussi, contribuent aux accidents en traversant hors des passages prévus, en les utilisant de manière incorrecte ou en marchant sur la chaussée malgré la présence de trottoirs souvent occupés par des voitures, des vendeurs ou des cafés.
Des routes délabrées
Les routes libanaises reflètent des décennies de négligence. Depuis l’essor immobilier des années 1990, marqué par l’absence de planification urbaine, les dégâts se sont accumulés. Virages dangereux, routes étroites, pentes mal conçues : autant de pièges rarement signalés. Nids-de-poule, dos-d’âne anarchiques et réparations au ralenti aggravent encore les risques.
L’entretien est quasi inexistant. Les services publics chargés de la maintenance manquent cruellement de budgets, ce qui entraîne une absence totale de suivi.
Trottoirs et espace public
Dans certaines rues, les trottoirs ne mesurent que 20 à 40 centimètres de large, au lieu du minimum de 80 cm requis. Ils sont souvent envahis par des commerçants, des cafés ou des voitures garées, obligeant les piétons à marcher sur la chaussée. Dans de nombreuses petites villes et villages, les trottoirs n’existent tout simplement pas.
Une loi mal appliquée
En 2015, un nouveau code de la route comprenant 420 articles a été adopté pour renforcer la sécurité routière. Mais son application reste aléatoire et sélective. De nombreux véhicules techniquement défaillants continuent de circuler, faute de contrôle technique régulier et fiable.
Le système des permis de conduire
Le processus d’obtention du permis souffre de failles structurelles. Les moniteurs de conduite automobile manquent de qualifications, la formation est insuffisante et le permis reste facile à obtenir. L’État, de plus, peine à délivrer des permis sécurisés.
Facteurs économiques et sociaux
La crise économique amplifie la situation. La dépréciation de la livre libanaise a rendu les amendes dérisoires, donc inefficaces. Dans le même temps, le nombre de véhicules a explosé, en raison de la croissance démographique, de l’urbanisation chaotique et de l’afflux de réfugiés syriens.
Les motos, notamment utilisées pour les livraisons, se sont multipliées. Beaucoup de conducteurs, souvent étrangers, n’ont ni formation ni équipements de sécurité, et circulent à contresens, ignorent les feux et franchissent les carrefours sans précaution.
Quant aux Libanais, leur rapport à la voiture reste marqué par l’ostentation : symbole social et signe de réussite, elle est perçue comme un espace privé, favorisant des comportements égoïstes et agressifs sur la route.
Des solutions possibles
Les spécialistes estiment que la sortie de crise passe par une combinaison de réformes législatives, d’éducation et d’une application rigoureuse des lois.
- Renforcer les sanctions : relever significativement le montant des amendes pour leur redonner un caractère dissuasif.
- Application stricte : cibler en priorité les infractions les plus graves, comme l’alcool au volant, la vitesse excessive et la conduite à contresens.
- Contrôle technique : relancer des inspections régulières et transparentes, en particulier pour les poids lourds et les bus.
- Système à points : instaurer un permis à points pouvant mener à la suspension ou au retrait définitif du droit de conduire.
Améliorer les infrastructures
Mettre en place un programme d’urgence pour réparer les routes, renforcer l’éclairage et la signalisation, installer des ralentisseurs, des ronds-points et élargir les trottoirs afin d’assurer la sécurité des piétons.
Éducation et sensibilisation
Introduire l’éducation routière dans les programmes scolaires dès le plus jeune âge, organiser des campagnes médiatiques pour alerter sur les dangers de la vitesse, de l’alcool et du téléphone au volant. Durcir l’examen du permis et prolonger la durée de la formation pratique.
Technologie et contrôle
Équiper les forces de l’ordre de radars modernes, d'alcootests et de caméras de surveillance aux carrefours dangereux. Mettre en place un système automatisé d’envoi des amendes par courrier.
Transport public : le maillon manquant
Enfin, aucun progrès durable n’est possible sans relancer un véritable système de transport public. L’absence de bus fiables et de trains condamne les Libanais à dépendre de leurs voitures, aggravant congestion, pollution et insécurité routière.
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