Le concept de « décentralisation administrative » suscite en permanence le débat au Liban, accompagné de craintes de le voir assimilé, à tort, au fédéralisme. D’où la nécessité d’en préciser clairement le sens.
Définir la décentralisation administrative
L’OCDE définit la décentralisation comme « le transfert de responsabilités administratives du gouvernement central vers des niveaux inférieurs de gouvernance, tels que les autorités locales ou régionales, tout en préservant l’unité de l’État ». En d’autres termes, il s’agit de déléguer l’exécution des politiques et des services aux administrations locales, sans leur conférer d’indépendance politique.
La Banque mondiale va plus loin en y intégrant l’attribution de fonctions fiscales, administratives et parfois politiques à des niveaux inférieurs de l’État, selon des modalités propres à chaque contexte politique et économique.
Au Liban, la référence la plus pertinente se trouve au paragraphe « Z » du préambule de la Constitution : « Le développement équilibré sur les plans culturel, social et économique est un pilier fondamental de l’unité nationale et de la stabilité politique. » L’accord de Taëf a consacré ce principe comme base de l’intégration nationale, laquelle ne peut être atteinte qu’en permettant aux citoyens et aux communautés de gérer leurs affaires quotidiennes.
Le Premier ministre Nawaf Salam l’a réaffirmé lors d’une conférence à Aley consacrée au développement, soulignant que la décentralisation administrative est à la fois une obligation constitutionnelle et une réforme attendue. Selon lui, la décentralisation élargie ne remet pas en cause l’État unitaire mais au contraire renforce sa présence. Il a rejeté l’idée de la réduire à une simple délégation administrative limitée ou de la transformer en fédéralisme, rappelant que le Liban avait « beaucoup trop tardé à appliquer l’accord de Taëf et ses réformes, ainsi qu’à étendre l’autorité de l’État sur l’ensemble de son territoire ». Pour Salam, sa mise en œuvre passe par la reprise par l’État de son rôle central dans le développement local, à travers une législation adaptée et un concept de développement équilibré. « Le développement durable, a-t-il insisté, n’est pas un choix mais une nécessité nationale, et il constitue la voie pour atteindre les Objectifs de développement durable définis par les Nations unies. »
Fédéralisme vs. décentralisation administrative
Le fédéralisme repose sur une union de régions ou d’États bénéficiant d’une autonomie quasi totale dans la gestion de leurs affaires intérieures, avec leurs propres institutions législatives, exécutives et judiciaires, et parfois une constitution locale. La politique étrangère et la défense relèvent, elles, de l’autorité fédérale. La décentralisation administrative, en revanche, n’accorde pas ce niveau d’indépendance : les collectivités locales restent placées sous le contrôle et la supervision de l’État central et fonctionnent dans un cadre administratif unifié.
Une nécessité pour le Liban
La décentralisation n’est plus l’apanage d’un camp politique, mais une exigence nationale imposée par la gravité des crises actuelles, en premier lieu la crise économique. Elle vise à améliorer l’efficacité de la gestion publique et à promouvoir un développement équilibré et durable, en tenant compte des spécificités et besoins de chaque région.
La décentralisation offre un service direct aux citoyens tout en créant de nouvelles perspectives pour l’investissement et la croissance. Elle peut dynamiser les économies locales, stimuler la production et ouvrir la voie à des modèles de financement innovants. Identifier les secteurs à fort potentiel d’exportation, améliorer les stratégies d’accès aux marchés, encourager l’entrepreneuriat rural et relier les pôles économiques aux marchés régionaux et internationaux font partie des priorités.
Dans ce processus, les municipalités jouent un rôle clé, en soutenant les industries locales adaptées aux ressources et besoins de leurs régions. Parallèlement, la Banque du Liban doit élaborer des politiques monétaires fondées sur des données fiables pour renforcer les modèles économiques locaux, permettre le développement des secteurs productifs et accroître le financement à travers des fonds dédiés. L’implication du secteur privé est essentielle, de même que le soutien aux start-up innovantes et aux jeunes talents, en particulier féminins, dans un contexte marqué par une émigration croissante de la jeunesse.
La Banque du Liban porte donc une lourde responsabilité : adopter des politiques monétaires favorables, faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises – y compris dans les zones rurales – au financement, et encourager les citoyens à réintégrer le cycle économique. Les banques libanaises, pour leur part, pourraient imaginer des mécanismes de financement conjoints entre secteur public et secteur privé.
Stabilité et justice sociale : conditions du succès
La stabilité et la sécurité sont des conditions essentielles pour que la décentralisation puisse prospérer. Sans elles, impossible d’attirer les capitaux privés ou de garantir une véritable autonomie financière. À cela s’ajoute la nécessité de placer la justice sociale au cœur des politiques de décentralisation, afin de renforcer l’indépendance économique locale dans le cadre d’une vision nationale unifiée, respectueuse de la Constitution et éloignée des spectres du fédéralisme.
** écrivaine, réalisatrice et productrice libanaise.