Le Liban se préparait autrefois à jouer un rôle pionnier dans l’écosystème de l’éducation numérique. Le pays disposait des ressources humaines et de l’esprit d’initiative nécessaires pour transformer les idées en projets concrets. Pourtant, la détérioration des conditions au fil des années — culminant avec l’effondrement de 2019 — a privé le Liban de sa capacité à occuper une position de leader régional. Les tentatives menées au cours des six dernières années se sont avérées largement infructueuses.

Dans cet article, l’universitaire et économiste Pierre Khoury passe en revue les expériences mondiales en matière d’éducation numérique, dans l’espoir que le Liban puisse en adopter certaines ou s’en inspirer pour tirer parti de la révolution numérique en cours.

Les MOOCs : une révolution mondiale de l’apprentissage

Les cours en ligne ouverts et massifs, plus connus sous leur acronyme anglais MOOCs (Massive Open Online Courses), sont des programmes éducatifs proposés sur Internet gratuitement ou moyennant des frais minimes. Leur particularité est l’accessibilité : ils sont ouverts à un nombre illimité d’apprenants à travers le monde. Les MOOCs ne se limitent pas à de simples cours enregistrés, ils intègrent également des activités interactives, des évaluations et des forums de discussion, permettant aux étudiants d’apprendre à leur propre rythme.

Depuis leur apparition au début des années 2010 sur des plateformes telles que Coursera, edX et FutureLearn, les MOOCs ont transformé l’enseignement supérieur en démocratisant l’accès au savoir. Ils ont aussi suscité de vifs débats sur leur légitimité académique et leur capacité à concurrencer l’université traditionnelle.

L’hommage récent rendu par Coursera au Kazakhstan — récompensant son ministre de l’Enseignement supérieur du prix Learning Hero Award pour ses efforts en matière d’intégration du numérique et d’élargissement de l’accès aux MOOCs — met en lumière l’évolution de la relation entre universités et plateformes. Au départ, en Occident, les MOOCs ont soulevé des questions sur l’accréditation, la propriété intellectuelle et la certification. Très vite, ils sont devenus l’objet d’un bras de fer entre plateformes privées et universités traditionnelles. Aux États-Unis, ils se sont progressivement intégrés dans des parcours formels via des programmes comme les MicroMasters et les Nanodegrees. L’Europe a choisi une approche plus prudente, en s’appuyant sur des plateformes nationales et régionales — comme FUN-MOOC en France et Miríadax en Espagne — afin d’éviter une dépendance totale vis-à-vis des entreprises et du système éducatif américain.

Au-delà de l’Occident : un levier stratégique dans le Sud global

Les transformations les plus marquantes sont toutefois survenues en dehors de l’Occident, dans des pays souvent considérés comme des « périphéries » de l’ordre éducatif mondial. Dans ces contextes, les MOOCs sont devenus de véritables outils stratégiques. Au Rwanda, le programme Kepler a mis en place des partenariats permettant aux étudiants et aux réfugiés de combiner contenu mondial et accompagnement local. La Jordanie a fondé la plateforme Edraak, offrant des cours ouverts en arabe et reliant les universités à l’espace numérique mondial. Le Népal, de son côté, a introduit des ressources éducatives jusque dans les villages de montagne les plus isolés grâce à l’initiative OLE Nepal.

Dans le Golfe, les MOOCs ont été intégrés dans des plans de transformation nationale. Aux Émirats arabes unis, l’initiative « Madrasa », et en Arabie saoudite la plateforme « Rwaq », ont associé l’éducation ouverte au développement des compétences et à une vision économique à long terme. En Afrique du Nord, le Maroc et la Tunisie ont adopté des approches plus modestes, freinées par la faiblesse des infrastructures.

Les grandes expériences asiatiques

Deux exemples majeurs se distinguent en Asie. L’Inde a lancé la plateforme SWAYAM, qui a fait des MOOCs une composante officielle de son système universitaire en les intégrant dans le calcul des crédits académiques. La Chine, à travers XuetangX et d’autres plateformes, les a inscrits dans une stratégie nationale de souveraineté numérique et de rayonnement scientifique.

L’Asie du Sud-Est a adopté des modèles flexibles. Singapour a lié les MOOCs à son programme « SkillsFuture », qui accorde à chaque citoyen un crédit financier pour l’apprentissage tout au long de la vie. La Malaisie a lancé « Malaysia MOOC » comme élément de sa politique d’enseignement supérieur, tandis que l’Indonésie a utilisé l’éducation ouverte pour toucher des millions d’étudiants dispersés sur ses nombreuses îles.

Des ressources aux politiques publiques

Ces expériences montrent que les MOOCs ont dépassé le stade de simples ressources complémentaires des universités américaines. Ils sont devenus des piliers de stratégies éducatives nationales dans un nombre croissant de pays. Si l’Occident a créé les plateformes et initié le débat, ce sont l’Inde, la Chine, le Golfe, le Kazakhstan, le Rwanda et d’autres encore qui ont fourni la preuve la plus concrète : l’éducation ouverte peut engendrer des transformations profondes lorsqu’elle s’inscrit dans une vision nationale globale.

Dr Pierre Khoury est universitaire et économiste