Le tollé soulevé par autour du Rocher de Raouché à Beyrouth — marqué par une violation flagrante de la loi et par le piétinement d’engagements formels — n’a pas constitué le dernier épisode du bras de fer entre la logique de l’État légitime et le contre-pouvoir de la « mini-république » illégitime. Deux épreuves cruciales ont suivi, tout aussi révélatrices que inquiétantes, mettant en lumière l’élargissement du fossé entre ces deux entités adverses.

Pour l’instant, la relation reste au stade de la friction et de l’antagonisme, sans aller jusqu’à la collision frontale. Cette trêve fragile est entretenue par des responsables de l’appareil étatique qui s’accrochent à une stratégie de « pare-chocs », estimant que des mesures trop strictes risqueraient de rallumer une guerre civile hypothétique — une issue jugée irréaliste pour des causes pratiques. Le mantra « la paix civile avant tout » et « l’armée libanaise est intouchable » continue de servir de justification. Pourtant, l’histoire montre que cette logique de fuite en avant a affaibli et fragmenté l’État libanais à plusieurs reprises au cours de ses cycles de conflits.

Le premier test majeur après le « tollé de Raouché » s’est joué sur le terrain de la politique étrangère, un domaine intimement lié à la survie du Liban. L’État libanais a accueilli favorablement le plan en vingt points du président américain Donald Trump pour résoudre la crise de Gaza et, par extension, le conflit du Moyen-Orient. À l’inverse, la « mini-république » — incarnée par le « Hezbollah », Amal et leurs affiliés — a rapidement affiché son rejet, du moins à travers ses médias.

Pour l’État, soutenir ce plan s’inscrit dans une ligne constante : refuser les guerres, appuyer les solutions négociées et, surtout, appliquer une formule gazaouie au Liban même, en confinant les armes aux seules institutions légitimes et en mettant fin à l’ère des milices. La mini-république, elle, demeure attachée à la « sacralité de son armement », répétant son slogan bien connu : « Nous n’abandonnerons ni le champ de bataille ni les armes. »

Cette position n’a fait qu’accentuer l’isolement du « Hezbollah » et d’Amal — non seulement à l’intérieur, face à la majorité des composantes libanaises, mais aussi à l’extérieur, face à l’écrasante majorité des pays arabes, islamiques et occidentaux, à l’exception de l’Iran, seul soutien. Le plan Trump a ainsi mis en lumière l’isolement de Téhéran et sa dépendance envers ses relais régionaux.

Cela explique les ordres donnés par l’Iran aux Houthis du Yémen d’abandonner leur « trêve » avec Washington et de renouveler leurs menaces contre les navires américains en mer Rouge, ainsi que sa directive au « Hezbollah » de hausser le ton contre tout désarmement et toute reconnaissance de la légitimité libanaise.

Le véritable test surviendra si le Hamas et ses alliés décident d’accepter le plan, peut-être avec des amendements cosmétiques. Téhéran a déjà agi rapidement pour pousser le Hamas au refus, sous couvert de « revendications de modifications » qui visent en réalité à torpiller l’initiative.

Le deuxième test est intérieur, mais étroitement lié à l’enjeu extérieur. Il concerne la fracture ouverte au Parlement autour du droit des Libanais expatriés à participer pleinement à l’élection des 128 députés.

Le véritable blocage n’a pas seulement été l’absence de quorum lors de la dernière séance : c’est la privation d’un droit constitutionnel. Le président de la Chambre, Nabih Berry, a empêché plus de 67 députés de présenter une proposition de loi urgente visant à garantir ce droit.

Mais cette manœuvre s’est retournée contre lui. Pour la première fois en 33 ans, Berry a perdu la main sur le Parlement, incapable d’assurer le quorum. Un revers politique qui a terni sa domination de plusieurs décennies et marqué un coup d’arrêt significatif.

L'échec au niveau national se traduit dans l’impossibilité de concilier « le feu de la mini-république » avec « l’eau de l’État ». Toutes les tentatives de rapprochement ont échoué — du dialogue infructueux mené pendant huit mois par le président Joseph Aoun avec « les hommes en armes », à la rupture de « l’accord de Raouché » qui a tourné en dérision l’autorité de l’État, jusqu’au clivage irréductible autour du plan de Gaza.

Jusqu’ici, tous les efforts de persuasion se sont heurtés au déni obstiné du « Hezbollah » des résultats de la guerre et au changement des rapports de force. La crainte demeure qu’un règlement à Gaza ne s’étende à la question des armes au Liban, contraignant à accepter le cadre défini par celui qu’ils qualifient avec dérision de « grand frère mondial », Donald Trump.

En attendant un sursaut — ou peut-être un miracle — le Liban restera condamné à deux lignes parallèles qui ne se rencontrent pas : l’État et la mini-république. Et dans le Liban d’aujourd’hui, les miracles se font rares.