Le non-respect récurrent des échéances constitutionnelles – ou même le simple vacarme et les doutes qui les entourent – illustre depuis longtemps l’érosion de l’État de droit dans les pays fragiles. Au Liban, ce phénomène est devenu une habitude. Chaque échéance constitutionnelle – élections, nominations ou prorogations – est entraînée dans le labyrinthe des intérêts et des calculs politiques, entraînant retards, blocages et paralysie.
Les prochaines élections législatives sont théoriquement fixées à mai 2026. Mais leur tenue est déjà menacée, au cœur d’une bataille sur la loi électorale, notamment autour du vote des Libanais expatriés.
La loi 44 de 2017 prévoit six sièges réservés aux non-résidents – répartis à égalité entre chrétiens et musulmans, et distribués sur les six continents (maronite, orthodoxe, catholique, sunnite, chiite, druze). Un autre article prévoyait de porter le nombre total de députés à 134 lors du deuxième scrutin organisé sous cette loi, avant de le ramener à 128 au cycle suivant. Mais cette disposition n’a jamais été appliquée, faute de décrets d’application. Résultat : incertitude juridique et risque grandissant pour l’échéance de 2026.
Associer la diaspora devait renforcer son lien au Liban, pas la réduire à un distributeur automatique envoyant des transferts. Limiter leur voix à seulement six députés vide ce projet de sa substance. Comment des élus censés représenter des continents entiers pourraient-ils participer efficacement au travail parlementaire et aux commissions ? Et surtout : quels sièges confessionnels au Liban seront supprimés pour « faire place » à ceux de l’étranger ?
Plus largement : pourquoi a-t-on tant insisté sur cette disposition controversée, alors que d’autres réformes comme les cartes magnétiques ou les « mégacentres » – qui auraient permis aux électeurs de voter hors de leurs circonscriptions – ont été abandonnées ? Le Hezbollah, par exemple, s’est plaint des « pressions » subies par ses candidats à l’étranger, bien qu’il ait récolté un nombre conséquent de voix de la diaspora en 2018 et 2022. Pourquoi alors refuser les mégacentres, qui auraient justement limité les pressions locales ?
Le refus du président de la Chambre, Nabih Berri, d’inscrire une proposition d’amendement accéléré à l’ordre du jour n’a fait qu’accentuer les soupçons. L’objectif serait-il de vider de sa substance le vote de la diaspora – ou de torpiller l’élection tout entière ? Dans les deux cas, cela risquerait de ternir le mandat du président Joseph Aoun, le faisant ressembler à ses prédécesseurs qui ont manipulé les échéances constitutionnelles pour leurs intérêts, tout en exploitant la diaspora financièrement.
Dans ce contexte, les Forces libanaises (FL) ont été la cible d’une campagne dès qu’elles ont rappelé une évidence : la loi permet à tous les partis de briguer des sièges, indépendamment de la répartition confessionnelle ou régionale. Des voix se sont aussitôt élevées pour les accuser de vouloir décrocher un siège chiite – une « faute » selon leurs adversaires.
Ironie du sort : ces mêmes adversaires se vantent de la « diversité » de leurs blocs parlementaires – une diversité souvent artificielle. Dans l’ancien système, les chefs politiques pouvaient désigner des députés « de façade » issus d’autres confessions, transformés en passagers dociles d’un bus électoral. Certains allaient jusqu’à « prêter » des députés à des blocs alliés pour afficher une image pluraliste.
À l’inverse, le système proportionnel actuel exige un véritable soutien populaire. Le chef des FL, Samir Geagea, l’a affirmé lors d’une commémoration dans la Békaa : le parti ne sacrifiera pas son siège maronite à Baalbek-Hermel pour imposer artificiellement un député sunnite ou chiite, mais cherchera à augmenter son score pour remporter davantage de sièges. L’objectif n’est pas de fabriquer un député de façade, mais de consolider un appui trans-confessionnel à la plateforme politique et nationale des FL.
Présenter la démarche des FL comme un crime politique est, en réalité, le véritable crime – contre l’ouverture, contre la compétition démocratique et contre la lente évolution d’un système dominé par les quotas confessionnels vers une véritable confrontation politique. Dans un pays où la logique communautaire reste prédominante, ce n’est pas seulement une bataille partisane : c’est un test pour savoir si la démocratie libanaise restera prisonnière des clivages sectaires ou si elle pourra enfin s’ouvrir à une compétition politique authentique.
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