L’histoire, ancienne ou récente, a parfois des airs de déjà-vu.

En 2005, alors que les Libanais vivaient dans la ferveur de la « colère sacrée » après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, et attendaient avec impatience le retrait historique de l’armée syrienne après trente ans d’occupation, j’écrivais ce qui suit :

« Les agissements de l’ambassadeur américain Jeffrey Feltman — concentrés sur les élections législatives, leurs lois, leurs conditions et leur climat — agaçaient les piliers autoproclamés de l’État de droit et des institutions, occupés à poursuivre la construction de cet État.

‘Agacement’ exprimé par les présidents de la Chambre et du gouvernement, sans pour autant éteindre la ‘joie inquiète’ des ministres et députés qui accueillaient Son Excellence. Ils affichaient de larges sourires devant les caméras, l’accompagnaient jusqu’à la porte dans une ambiance presque festive, et vivaient dans l’attente de sa prochaine visite.

Cet agacement officiel faisait suite à une directive adressée à tous les ambassadeurs arabes et étrangers — visant spécifiquement Feltman — leur rappelant de respecter les usages diplomatiques. Mais l’ambassadeur n’y prêta guère attention, estimant qu’il ne faisait que son devoir.

Dès lors, si ces gardiens autoproclamés de l’État de droit étaient si contrariés par ses agissements, pourquoi ne pas prendre la décision de l’expulser ? Pour le dire crûment, en arabe populaire : qu’on le vire ! »

Ce que j’écrivais il y a vingt ans s’applique encore aujourd’hui. À l’époque, l’ingérence américaine au Liban était flagrante. Aujourd’hui, elle s’apparente à une tutelle. Hier, on s’en offusquait. Aujourd’hui, on se soumet : « À vos ordres, Oncle Sam. »

Hier encore, l’Iranien Ali Larijani a honoré le Liban d’une visite auprès du président, du président de la Chambre, du Premier ministre et du secrétaire général du « Hezbollah ». Des responsables et des partis libanais se sont insurgés contre sa venue, surtout qu’elle suivait une série de déclarations iraniennes refusant tout désarmement du « Hezbollah » — considérées comme une ingérence manifeste dans les affaires libanaises.

Notre ministre des Affaires étrangères lui-même a exprimé son refus, alors même qu’un représentant de son ministère figurait parmi la délégation officielle d’accueil au salon d’honneur de l’aéroport. Interrogé sur la position du ministre, Larijani répondit : « Je n’ai simplement pas eu le temps de le rencontrer. » Ce à quoi le ministre rétorqua : « Même si j’avais eu le temps, je ne l’aurais pas vu. »

Un rappel à l’adresse du ministre : le protocole diplomatique n’est pas facultatif. Comme l’écrivait le poète Saïd Akl dans son épopée Qadmus : « Ne dis pas ‘ma nation’ en conquérant le monde / Nous sommes les voisins et les proches de tous les peuples. » Le Liban est le voisin et l’ami de toutes les nations — sauf Israël. Notre devoir est d’entretenir de bonnes relations avec tous, même en cas de divergences. Les différends doivent être réglés par le dialogue, non par l’évitement, la bouderie ou les fanfaronnades enfantines de cour de récréation.

Autre rappel, Monsieur le Ministre : vous êtes membre d’un gouvernement et vous appliquez ses décisions, vous n’êtes pas un cadre partisan chargé d’exécuter des consignes de votre formation. N’avez-vous pas remarqué les photos de Larijani à Baabda, détendu face au président qui lui disait ce qu’il fallait dire pour dénoncer l’ingérence de son pays ? Le président était digne, l’invité souriant et courtois. Et à la Sérail, si le photographe officiel a saisi une mine sombre du Premier ministre, un autre cliché — probablement pris par l’équipe iranienne — montrait ce même Premier ministre serrant chaleureusement la main de Larijani, un geste réservé aux proches amis.

Vous avez donc deux options, Monsieur le Ministre. La première : respecter les usages diplomatiques et cesser de dénoncer la « paille » dans l’œil de l’un, tout en ignorant la « poutre » dans le vôtre, puisque la souveraineté ne peut être appliquée à géométrie variable. Dans ce cas, suivez les instructions du gouvernement, sans mise en scène.

La seconde : puisque l’Iran est officiellement considéré comme un pays ami, avec lequel le Liban entretient des relations diplomatiques de longue date — qu’il ait été monarchie ou république islamique —, portez le dossier en Conseil des ministres. Rejetez les ingérences de Téhéran et exigez des mesures : rappel de notre ambassadeur à Téhéran, déclaration de persona non grata pour l’ambassadeur iranien, réduction du niveau de représentation ou rupture des relations diplomatiques. Bref, qu’on expulse l’ambassadeur iranien et qu’on interdise toute visite officielle.

Virez-le, Monsieur le Ministre, si vous en avez la capacité, sinon…