Les secousses politiques provoquées par la visite à Beyrouth du secrétaire du Conseil national de sécurité iranien, Ali Larijani, précédée de déclarations défiant la décision souveraine du Liban de limiter les armes à l’État et accompagnée de manifestations populistes le long de la route de l’aéroport, ont poussé Téhéran à mobiliser ses relais médiatiques et politiques. L’objectif : justifier son ingérence dans les affaires libanaises en invoquant les interventions américaine, occidentale et saoudienne.
Ces derniers jours, ces relais ont lancé une campagne contre Washington, Riyad et Paris, les accusant d’imposer des « diktats » et une « tutelle » au Liban, et de pousser le Conseil des ministres à adopter sa décision décisive contre les armes illégales, au premier rang desquelles l’arsenal de « Hezbollah ». La campagne est allée jusqu’à menacer d’empêcher les visites d’émissaires internationaux, en particulier celle du médiateur américain Tom Barrack, si celle de Larijani venait à être entravée. Le rejet par Téhéran de la décision souveraine libanaise s’est accompagné de menaces et d’incitations, avertissant que la mise en œuvre de la résolution gouvernementale « ne passera pas ».
L’argument des « diktats américains » pour justifier la violation persistante par l’Iran de la souveraineté libanaise appelle à mettre en lumière la différence fondamentale entre l’implication américaine et l’implication iranienne au Liban.
Le rôle de Washington face à celui de Téhéran
Premièrement, l’engagement américain dans les dossiers libanais s’est presque toujours fait avec le consentement de « Hezbollah » (sous l’influence iranienne). Deux exemples récents l’illustrent :
- La délimitation des frontières maritimes en 2022, acceptée grâce à la médiation de l’envoyé américain Amos Hochstein.
- L’accord de cessez-le-feu de 2024, basé sur un document américano-français que « Hezbollah » et l’Iran ont finalement accepté sans contestation.
Contrairement à l’Iran, Washington n’a jamais incité ni le Liban ni Israël à déclencher une guerre. Au contraire, il a toujours cherché à circonscrire les conflits provoqués par des décisions iraniennes mises en œuvre via « Hezbollah ». Cela s’est vérifié en 1992, 1996, lors de la guerre de juillet 2006 et de la « guerre d’appui » de 2023.
Deuxièmement, l’aide américaine a été exclusivement destinée à l’armée libanaise et aux institutions sécuritaires de l’État. L’Iran, lui, a injecté des milliards de dollars et des arsenaux entiers uniquement à « Hezbollah » et à ses affiliés. La devise de Washington est « l’armée d’abord », celle de Téhéran « le parti d’abord et avant tout ».
Troisièmement, les États-Unis ont financé des projets de développement dans l’eau, la santé, l’éducation et les services sociaux à travers tout le pays, y compris au Sud, dans la Békaa et dans la banlieue sud de Beyrouth. L’Iran, de son côté, a limité son aide à l’environnement contrôlé par « Hezbollah », en ignorant les institutions de l’État.
Quatrièmement, ni les États-Unis ni leurs alliés occidentaux et arabes n’ont jamais contesté les décisions prises par les gouvernements libanais, y compris ceux placés par le passé sous tutelle syrienne et iranienne. L’Iran, en revanche, a ouvertement rejeté les décisions souveraines récentes. Les dernières déclarations en ce sens, celles d’Ali Akbar Velayati, conseiller supérieur du guide suprême Ali Khamenei, puis d’un commandant des Gardiens de la révolution, ont suscité des appels politiques, sociaux et gouvernementaux à expulser l’ambassadeur iranien et à boycotter la visite de Larijani.
Cinquièmement, la politique américaine – appuyée par ses partenaires arabes et occidentaux – s’est toujours alignée sur les intérêts nationaux du Liban : souveraineté, liberté, justice, réforme institutionnelle et droit exclusif de l’État à détenir les armes et à décider de la guerre et de la paix. Le récent soutien américain à la décision de désarmement du gouvernement s’inscrit dans ce cadre, consolidant la voie libanaise vers la souveraineté et la réforme.
Il est vrai que la politique américaine, républicaine ou démocrate, accorde une priorité à la sécurité d’Israël. Mais cette priorité ne contredit pas les intérêts sécuritaires du Liban, que ce soit à sa frontière sud avec Israël ou à ses frontières orientales et septentrionales avec la Syrie. C’est cette logique qui sous-tend ce que l’on a appelé le « document Barrack », fruit de trois cycles de négociations entre l’envoyé américain et Beyrouth. L’approbation massive du Conseil des ministres en a fait un document autant libanais qu’américain.
Deux trajectoires divergentes
À la lumière de ces faits, la distinction entre l’intervention américaine et l’intervention iranienne au Liban apparaît clairement. L’implication américaine a visé la reconstruction, le progrès, la réforme et la paix. L’implication iranienne a alimenté la destruction, le recul, la corruption et la guerre, toujours sous la bannière opportuniste du « soutien à la Palestine ».
La comparaison elle-même n’a plus lieu d’être. Ce sont deux lignes irréconciliables, deux cultures opposées – non seulement au Liban mais dans toute la région et au-delà. Après une longue souffrance, le Liban a choisi sa voie, avec l’appui arabe et international : celle de la souveraineté, de la réforme et de la vie.