Aucune communauté confessionnelle au Liban n’a jamais affiché une telle uniformité politique que la communauté chiite. Ses décisions politiques sont fermement tenues dans la poigne de fer de l’alliance « Hezbollah–Amal », qui monopolise entièrement la représentation parlementaire. Cette unité trouve son origine dans l’effusion de sang de la « guerre des frères » à la fin des années 1980, et a été consolidée par l’Accord de Damas, conclu le 9 novembre 1990 sous l’égide des parrains de l’alliance, la Syrie et l’Iran. Ce pacte a forgé une cohésion politique allant jusqu’à une quasi-fusion, malgré des divergences idéologiques.
Même la communauté druze du Liban n’a jamais atteint un tel degré d’uniformité, bien qu’elle ait réussi à éviter les effusions de sang entre ses factions. La dernière grande bataille druzo-druze fut celle d’Aïn Dara en 1711, entre les Qaysites et les Yéménites. Les druzes ont préservé un certain espace de représentation interne et de diversité politique, comme en témoigne la volonté délibérée de Walid Joumblatt de ne pas exclure l’émir Talal Arslan des compétitions législatives, lui laissant un siège sans concurrence à plusieurs reprises.
Aujourd’hui, le « duo » chiite exploite son monopole de représentation pour promouvoir une interprétation déformée de la « participation nationale » (al-mithaqiyya), adaptée à sa propre mesure. La véritable participation nationale existe entre chrétiens et musulmans, non entre sous-sectes religieuses, et repose sur l’égalité entre les composantes, l’absence de recours à des puissances étrangères et la protection de l’existence et du rôle de chacune. Le désarmement du « Hezbollah » renforcerait au contraire cette participation nationale en assurant l’égalité, en coupant la dépendance du parti vis-à-vis de l’Iran, et sans menacer le rôle ni la présence de la communauté chiite. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est la séparation de l’appareil militaire et sécuritaire d’une faction de son identité politique, la maîtrise de ses liens extérieurs, et sa transformation en parti politique comme les autres.
Pourtant, cette alliance a en grande partie isolé la communauté chiite. Les chiites opposés au « Hezbollah » peinent à obtenir des visas pour plusieurs pays, rencontrent des obstacles lorsqu’ils cherchent à louer ou acheter un logement dans certaines régions libanaises, et sont soumis à une surveillance accrue depuis que la « guerre de soutien » (Harb al-Isnad) a fait des cadres du « Hezbollah » des cibles inévitables pour les attaques israéliennes.
Le « Hezbollah » dans sa propre chrysalide
Le « Hezbollah » se retrouve aujourd’hui empêtré dans sa propre toile, entraînant la communauté chiite avec lui, tout en sachant pertinemment que :
- Son bras armé n’a aucun avenir. Les routes d’approvisionnement sont coupées, et le gouvernement a irrévocablement décidé de retirer ses armes, mettant fin à tout espoir d’en tirer un levier politique.
- L’« axe de la résistance » régional vacille. Le régime Assad, autrefois allié clé, a disparu, remplacé par un gouvernement hostile au « Hezbollah », malgré la défense acharnée que le parti avait menée aux côtés de Bachar al-Assad. L’Iran, de son côté, continue de multiplier les déclarations pour garder le « Hezbollah » comme carte de négociation, mais refuse de risquer une confrontation sérieuse pour le défendre, privilégiant la survie de son propre régime.
- La reconstruction des zones détruites restera gelée tant que le Hezbollah conservera ses armes. Les flux financiers, autrefois réguliers, ne lui parviennent plus qu’au compte-gouttes, affectant salaires et services. Aucun investisseur international n’injectera d’argent dans la relance du Liban sans désarmement — pire, le pays risque de nouvelles sanctions et des mesures financières et monétaires sévères si les armes demeurent.
Le « Hezbollah » ne sait comment réagir à la décision souveraine du gouvernement, qui a chargé l’armée d’élaborer d’ici au 31 août un plan pour collecter toutes les armes non-étatiques d’ici la fin de l’année. En 2008, le « Hezbollah » avait répondu à la décision gouvernementale de démanteler son réseau de télécommunications privé et de modifier des postes de sécurité à l’aéroport par une incursion militaire à Beyrouth en moins de 48 heures. En 2021, un ministre du « Hezbollah » avait frappé du poing sur la table du Conseil des ministres au sujet du Tribunal spécial pour le Liban, provoquant une paralysie gouvernementale de six semaines.
Aujourd’hui, cependant, le « Hezbollah » est incapable de relancer un scénario de type « 7 mai ». Épuisé militairement et sous ciblage israélien constant depuis la guerre de soutien, il ne trouve aucune force intérieure prête à l’affronter, tout en sachant qu’il ne peut briser aucune autre composante politique. Ses tentatives de provoquer une guerre civile ont échoué grâce à la solidité de l’armée et au refus des autres acteurs politiques de prendre les armes.
Jusqu’à présent, le « Hezbollah » a évité de démissionner du gouvernement, comme en 2006, ou de boycotter les sessions, comme en 2021, refusant de perdre ce qui lui reste de couverture politique. Après son échec, lors de la séance du 7 août, à revenir sur la décision souveraine du 5 août, il tente de gagner du temps jusqu’à la fin du mois pour la session consacrée au plan de désarmement de l’armée.
En parallèle, il « chauffe » la rue avec des rassemblements populaires et des défilés de motos, offrant à sa base un exutoire contrôlé. Mais, contrairement au passé, l’État libanais — via l’armée — a fixé des limites strictes : pas « d’invasions » provocatrices dans des zones hostiles, pas de slogans dans des territoires adverses, et interdiction absolue de bloquer la route de l’aéroport ou d’autres axes principaux.
L’Iran franchit les normes diplomatiques
La confusion qui règne au sein du duo chiite a poussé l’Iran à enfreindre toutes les règles diplomatiques, en émettant des déclarations qui violent ouvertement la souveraineté libanaise et révèlent sa frustration de perdre sa carte « Hezbollah ». Le lendemain de la décision du Conseil des ministres, le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, a affirmé que le plan de désarmement était « voué à l’échec » et a rejeté toute telle initiative. Peu après, Ali Akbar Velayati, conseiller principal du Guide suprême, a déclaré que Téhéran « s’oppose catégoriquement » au désarmement du Hezbollah, qualifiant cette idée de « rêve qui ne se réalisera jamais ».
Le ministère libanais des Affaires étrangères a répliqué fermement, rejetant « l’ingérence flagrante d’un État dans les affaires d’un autre et l’incitation d’une faction à défier une décision gouvernementale ».
Reste à savoir si le « Hezbollah » tirera les leçons de l’Histoire — qu’aucune faction ne peut s’élever au-dessus de sa nation — ou si la confusion du parti et la pression iranienne le pousseront sur la voie de l’autodestruction.