Lors de sa dernière séance, il y a une semaine, le Parlement libanais a modifié le Code de la monnaie et du crédit, autorisant la Banque du Liban à émettre de nouveaux billets de grande valeur : 500 000, 1 000 000 et 5 000 000 livres libanaises. Présentée comme une réponse pratique à l’effondrement économique structurel du pays, cette mesure comporte néanmoins de sérieux risques monétaires et juridiques si elle venait à être appliquée.

Les bénéfices attendus

Cette décision trouve son origine dans la montée en puissance de « l’économie du cash » et la chute continue de la livre libanaise depuis 2020.

Faciliter les transactions quotidiennes : L’émission de billets de plus forte valeur rendrait la vie des Libanais plus simple, en les dispensant de transporter d’importantes liasses d’argent pour leurs achats courants.

Réduction des coûts d’impression et de transport : Il coûte moins cher d’imprimer un billet de 500 000 livres que cinq billets de 100 000, ou un billet d’un million au lieu de dix. Les coûts de transport diminueraient également, tandis que les convoyeurs de fonds seraient plus en sécurité.

Stimulation temporaire de la demande en livres : L’introduction de nouvelles coupures pourrait, dans un premier temps, encourager les citoyens à utiliser ou à conserver la livre libanaise, par curiosité ou par effet de nouveauté.

Gains de seigneuriage : Si la Banque du Liban parvient à injecter ces nouveaux billets sans remplacer intégralement les anciens, elle pourrait temporairement tirer profit du processus d’émission monétaire, connu sous le nom de seigneuriage.

Les dangers cachés

Ces avantages à court terme sont toutefois largement éclipsés par les risques économiques et psychologiques qu’ils comportent.

Un signal négatif aux marchés : L’émission de billets de grande valeur envoie le message implicite que la livre continuera de se déprécier face au dollar, minant davantage la confiance des citoyens et des investisseurs.

Une reconnaissance officielle de l’effondrement : L’impression de billets d’un ou de cinq millions constitue de facto un aveu d’État de la perte de valeur de la monnaie nationale. Elle soulève aussi une inquiétude : si les coupures de 500 000 et d’un million ne suffisent plus, quelle sera la prochaine étape ?

Un effet psychologique inflationniste : Avant même leur mise en circulation, l’annonce de ces billets pourrait déclencher une hausse des prix, les consommateurs anticipant une nouvelle dévaluation.

Risque inflationniste en cas de mauvaise gestion : Les responsables affirment que la masse monétaire totale restera inchangée, les nouvelles coupures remplaçant simplement les anciennes. Mais tout échec dans le retrait rapide et méthodique des petites coupures provoquerait mécaniquement une expansion de la liquidité — alimentant l’inflation.

Une mesure cosmétique, non structurelle : Cette décision traite les symptômes sans s’attaquer aux causes. Elle offre une solution logistique, sans réforme monétaire, budgétaire ou structurelle, laissant la crise intacte.

Un coup porté à la transparence : En facilitant les transactions en espèces de grande valeur, la mesure risque de renforcer l’économie informelle au détriment de l’économie formelle, en contradiction avec les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI). Ce dernier pourrait placer le Liban sous surveillance accrue, voire sur la « liste noire », avec des conséquences économiques désastreuses.

Une accélération de la dollarisation : Les grosses coupures en livres libanaises faciliteraient la conversion de sommes importantes en dollars américains, accélérant la dollarisation et aggravant l’inflation cumulative.

La Banque du Liban passera-t-elle à l’action ?

Bien que la modification légale autorise le conseil central de la Banque du Liban à émettre des billets de plus grande valeur, la question demeure : osera-t-il franchir le pas ? La réponse reste incertaine.

La banque centrale ne dispose toujours pas d’une feuille de route claire de la part du gouvernement concernant les réformes à venir, la politique de taux de change souhaitée ou le calendrier de stabilisation de la monnaie. Face à cette incertitude, elle pourrait éviter de prendre une décision risquée susceptible d’ébranler davantage la livre, déjà fragile.

Dans le scénario le plus prudent, la Banque du Liban pourrait se limiter à émettre le billet de 500 000 livres, tout en contrôlant strictement le retrait progressif des coupures existantes. Toutefois, elle devrait attendre que le gouvernement clarifie sa vision financière et son agenda de réformes avant d’agir.

Scénarios prévisionnels

À l’aide d’un modèle ARIMAX, l’étude analyse l’impact potentiel de l’émission de billets de grande valeur sur la perception des marchés vis-à-vis de la crédibilité de la Banque du Liban, sur le taux de change et sur la masse monétaire totale en circulation (CiC). Trois scénarios se dessinent :

Scénario de base : Les nouvelles coupures remplacent entièrement les anciennes sans augmentation de la masse monétaire. Les marchés y voient une mesure purement technique, et le taux de change reste stable selon les projections ARIMAX (voir graphique 1).


Scénario inflationniste : Les nouvelles coupures sont mises en circulation sans retrait simultané des anciennes, ou servent à financer le déficit budgétaire (en raison d’une agression israélienne ou de l’échec des réformes). Les marchés interprètent alors la mesure comme une expansion monétaire incontrôlée. La confiance s’effondre, le dollar grimpe, et la masse monétaire nominale explose — provoquant une flambée de l’inflation.

Scénario de restauration de la confiance : Le marché perçoit la décision comme partie intégrante d’un plan de réformes crédible, renforçant la confiance dans la livre et ralentissant légèrement la dollarisation. Ce scénario ne serait toutefois possible qu’avec des réformes structurelles profondes, attendues depuis longtemps par les citoyens et les partenaires internationaux.

Selon les projections du modèle, si la masse monétaire en circulation dépasse 75 000 milliards de livres libanaises, le scénario inflationniste (scénario 2) deviendrait dominant, avec une probabilité de 68 % — soulignant le danger d’une émission de grosses coupures sans plan de réformes cohérent ni stratégie monétaire claire.



Une mesure de façade dans une crise structurelle

En définitive, émettre de nouvelles coupures sans s’attaquer aux causes profondes de l’effondrement financier du Liban — à savoir la restructuration du secteur bancaire, la crise des dépôts et la paralysie budgétaire de l’État — relève du simple maquillage. Loin de restaurer la confiance, cette décision risquerait d’accélérer l’érosion de la foi des Libanais en leur monnaie nationale et d’aggraver la chute économique du pays.