Les réserves d’or du Liban, détenues par la Banque du Liban, offrent une illusion de stabilité et de réconfort dans une crise économique d’une gravité extrême. Pourtant, malgré la hausse vertigineuse de la valeur du métal précieux, l’or n’a jamais été — et ne sera jamais — le salut du Liban. La véritable relance commence par la reconnaissance de l’effondrement, l’acceptation des responsabilités et la mise en œuvre de réformes profondes. Comme le rappelle un proverbe russe : « Il existe quelque chose de plus précieux que l’or : la vérité. »

La tentation d’utiliser les réserves

La montée continue des prix mondiaux de l’or a ravivé l’intérêt pour les avoirs du Liban, accumulés « gramme après gramme » depuis le milieu du XXᵉ siècle. Les appels à vendre ou à utiliser ces réserves ne proviennent plus seulement des citoyens ou des économistes, mais aussi des législateurs. Un projet de loi actuellement examiné par le Parlement, intitulé « Vente des avoirs en or du Liban », vise à autoriser la cession d’une partie du stock détenu par la Banque centrale. La question refait donc surface : le Liban doit-il encaisser son or ?

Quelle quantité d’or possède le Liban ?

Selon le dernier recensement effectué en 1996, le Liban détient environ 9 222 437 onces d’or, dont un tiers — environ 3,7 millions d’onces — est stocké aux États-Unis, le reste étant conservé à Beyrouth. En novembre 2022, l’ancien gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, a réaffirmé, à la suite d’un audit, que la quantité et la qualité de l’or dans les coffres de la banque correspondaient exactement aux registres officiels. Cependant, des doutes subsistent. L’identité du cabinet d’audit n’a jamais été révélée (après le refus de KPMG de réaliser la mission) et aucun inventaire détaillé distinguant lingots, pièces ou bijoux n’a été publié.

En supposant que le total reste d’environ 9,2 millions d’onces, et avec un cours actuel avoisinant 4000 dollars l’once, la valeur des réserves d’or du Liban atteindrait aujourd’hui près de 36,5 milliards de dollars. C’est une hausse spectaculaire de 22,8 milliards de dollars depuis le début de l’effondrement financier : fin 2019, lorsque l’or valait environ 1 500 dollars l’once, ces mêmes réserves étaient estimées à 13,7 milliards de dollars.

Les risques liés à l’utilisation de l’or

Aujourd’hui, la valeur de l’or représente près de la moitié du déficit financier du secteur bancaire, estimé à 76 milliards de dollars. Si l’on y ajoute les réserves de change de la Banque du Liban (environ 11,7 milliards de dollars) et les 8 milliards de dollars du « compte 36 » de l’État, on pourrait croire que la crise des déposants serait résolue. Pourtant, les experts mettent en garde : puiser dans ces réserves serait une grave erreur, pour plusieurs raisons.

— Une poursuite de la hausse mondiale du prix de l’or est attendue, alimentée par l’affaiblissement du dollar américain et l’accroissement des risques géopolitiques. Les États-Unis impriment environ 1 000 milliards de dollars tous les 90 jours, ce qui alimente la crainte d’une dépréciation et pousse les investisseurs à se réfugier dans les métaux précieux. Alors que les banques centrales substituent progressivement l’or aux réserves en devises, certains analystes prévoient un cours pouvant atteindre 5 000 dollars l’once d’ici la fin de 2026, portant potentiellement la valeur des réserves libanaises à plus de 46 milliards de dollars.

— L’or évolue à l’inverse des taux d’intérêt américains. Avec les anticipations d’une baisse prochaine des taux, les prix de l’or devraient continuer à grimper.

— Le manque de transparence et de gouvernance au Liban rend toute opération risquée. Bien que le Parlement ait adopté plusieurs lois anticorruption — notamment sur la protection des lanceurs d’alerte, le droit à l’information et l’enrichissement illicite —, leur application reste quasi inexistante. La Commission nationale de lutte contre la corruption demeure largement paralysée, suscitant la méfiance tant locale qu’internationale quant à la capacité du Liban à gérer un actif aussi précieux que l’or.

— La mauvaise gestion chronique des fonds publics a aggravé le scepticisme. Le pays a dilapidé 1,1 milliard de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) obtenus du FMI — des fonds qui auraient pu financer des centrales électriques ou développer une industrie pharmaceutique locale. À la place, ils ont été engloutis dans des subventions temporaires, tout comme 11 milliards de dollars provenant des dépôts bancaires et 2,5 milliards de dollars du programme de change « Sayrafa » de la Banque centrale.

— La vente de l’or pour combler les pertes bancaires ou indemniser les déposants risquerait de provoquer la colère des créanciers internationaux — notamment les détenteurs d’eurobonds — susceptibles d’intenter des procès devant les tribunaux de New York afin de geler ou de saisir l’or libanais, surtout celui conservé à l’étranger.

Un pari à haut risque

Dans les conditions actuelles, toute tentative d’utiliser les réserves d’or menace d’en entraîner la perte. Les vendre priverait le Liban de gains futurs si les prix poursuivent leur ascension. Les mettre en gage dans le cadre d’« accords de rachat » exposerait le pays à une confiscation en cas de défaut de paiement. Les louer sur le marché mondial au « taux de location de l’or » (Gold Lease Rate) ne rapporterait que des rendements dérisoires face à l’ampleur de la crise.

Plus grave encore, sans réformes réelles, les recettes issues de l’or risqueraient de disparaître dans le même gouffre que les précédents fonds de sauvetage. En l’absence de transparence, de reddition de comptes et de volonté politique, l’or du Liban — dernier grand atout du pays — pourrait cesser d’être un symbole de stabilité pour devenir le dernier chapitre d’une tragédie économique sans fin.