La scène était inimaginable. Après plus d’une décennie d’isolement, la banque centrale syrienne vient de réaliser sa première transaction via SWIFT — le système de messagerie financière mondial utilisé par les banques occidentales — depuis quatorze ans. Cette opération, menée avec une institution financière italienne, constitue un signal clair d’un possible retour de la Syrie dans le giron international par la voie du système financier mondial.

Les sanctions contre la Syrie

Depuis 2011, date du déclenchement de la révolution syrienne, la Syrie, son économie et son système bancaire sont soumis à de lourdes sanctions américaines et européennes en réaction aux agissements du régime précédent et aux violations des droits humains commises durant la guerre civile. Le conflit et ces sanctions ont plongé une grande partie de la population syrienne dans la pauvreté. Selon la Banque mondiale, plus de 90 % des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté (moins de 2,13 dollars par jour). L’économie syrienne s’est effondrée durant cette période : l’isolement financier a paralysé l’économie, entravé les échanges commerciaux avec l’étranger et stoppé les investissements directs étrangers, pour des pertes estimées à plus de 800 milliards de dollars. Pour contourner cet isolement, qui a touché aussi bien les banques commerciales que la banque centrale, les Syriens se sont largement appuyés sur le Liban et son secteur bancaire comme base logistique pour importer des produits essentiels, transférer des fonds à l’étranger et recevoir des envois d’argent depuis l’extérieur.

Aujourd’hui, avec la chute de l’ancien régime et la levée des sanctions, de nouvelles opportunités économiques prometteuses s’ouvrent à la Syrie. Mais ces perspectives dépendent de la capacité du nouveau gouvernement à reprendre le contrôle du territoire, rétablir la sécurité, chasser les groupes extrémistes et garantir les droits des minorités.

Au-delà du symbole : une étape clé

La première transaction SWIFT depuis la levée des sanctions dépasse le simple symbole. Elle constitue une condition essentielle pour la réintégration de la Syrie dans le système financier mondial, ouvrant la voie à des échanges directs entre entreprises syriennes et étrangères sans passer par le Liban. Si la sécurité est rétablie, des investissements étrangers — cruciaux pour la relance économique et la reconstruction potentielle — pourraient être encouragés. Cela permettrait l’entrée de devises étrangères dans le pays via les transferts des expatriés syriens et l’injection de nouveaux capitaux dans le secteur bancaire. Résultat : un renforcement de la livre syrienne et une hausse des réserves en devises de la banque centrale. La possibilité de voir des banques étrangères ouvrir des succursales en Syrie renforcerait encore davantage la confiance et soutiendrait les flux de capitaux étrangers.

Des promesses sous conditions

Bien sûr, plusieurs conditions essentielles accompagnent ces perspectives économiques — certaines d’ordre politique, comme évoqué, d’autres d’ordre économique :

Premièrement : des mesures pour stabiliser l’économie globale. Cela implique de redresser les finances publiques grâce à un système fiscal équitable permettant de générer des recettes et de réduire les dépenses inutiles. Il s’agit également de stabiliser la livre syrienne en luttant contre l’inflation et en appliquant une politique monétaire efficace avec une véritable indépendance de la banque centrale. Le gouvernement devra aussi négocier avec les créanciers pour alléger le poids du service de la dette publique.

Deuxièmement : l’état de droit et la gouvernance des institutions. Le gouvernement syrien devra instaurer un cadre juridique (sous supervision judiciaire) pour faire appliquer les lois, notamment les lois économiques : exécution des contrats, protection des droits de propriété, lutte contre la corruption, transparence accrue et réforme du secteur bancaire.

Troisièmement : un secteur privé dynamique, moteur de la croissance dans les économies libres. Cela suppose de libérer le marché de la tutelle étatique, d’abandonner le modèle socialiste et d’adopter des mécanismes de marché fondés sur la concurrence et l’ouverture sur le monde. Il faudra aussi améliorer les lois encadrant l’environnement des affaires et obtenir le soutien des institutions financières internationales pour financer les petites et moyennes entreprises, levier clé dans la lutte contre la pauvreté. Tout cela nécessitera des investissements massifs dans les infrastructures, financés par des aides et des prêts régionaux et internationaux.

Quatrièmement : accorder une grande importance aux secteurs sociaux, tels que l’éducation, la santé et les programmes de protection sociale, tout en créant des emplois à travers les projets de reconstruction. Le retour des réfugiés syriens des pays voisins constitue un devoir moral et national pour le nouveau gouvernement syrien. Ces réfugiés joueront un rôle majeur dans la reconstruction de l’économie nationale dès que les travaux de reconstruction débuteront.

Une simulation de la croissance économique syrienne

Bien que les réformes nécessaires soient nombreuses et prendront du temps, les projections suggèrent que le PIB syrien pourrait être multiplié par quatre en dix ans si les réformes sont menées à bien, ce qui illustre l’ampleur des opportunités à saisir. Notre simulation à court terme s’aligne sur les prévisions de la Banque mondiale, qui table sur une contraction de l’économie syrienne de 1 % cette année, après un recul de 1,5 % l’an passé, en raison du manque d’investissements, des pénuries de liquidités et de carburant. À moyen terme, notre scénario repose sur la vision du Programme des Nations unies pour le développement, qui suppose des politiques ambitieuses et un soutien arabe et international à la Syrie. Ce programme prévoit un taux de croissance annuel moyen d’environ 13 % jusqu’en 2030. D’ici 2035, l’économie syrienne devrait avoir complètement retrouvé son niveau de PIB d’avant la crise (voir graphique 1).


Illustration 1 : Croissance économique syrienne prévue à court, moyen et long terme.

Il ne fait aucun doute que les défis qui attendent les responsables syriens sont immenses. Cette opportunité historique qui s’offre aujourd’hui au peuple syrien est le fruit de sa résilience, mais aussi du soutien saoudien qui a permis la levée des sanctions et le retour de la Syrie sur la scène internationale. La question reste : le nouveau gouvernement syrien saura-t-il relever ces défis et mener à bien un plan de réformes sur dix ans pour redonner à la Syrie son économie d’avant-guerre ?