Le 15 juin devait marquer une étape importante dans les relations tendues entre les États-Unis et l’Iran — une date initialement fixée pour la reprise des négociations entre les deux pays. Mais elle s’est transformée en tournant majeur, notamment après la vaste offensive lancée par Israël contre l’Iran et les événements en chaîne qui ont suivi.

Ironiquement, la brève « lune de miel » diplomatique entre Washington et Téhéran a eu lieu sous la présidence de Donald Trump. Connu pour sa fermeté, Trump semblait pourtant avancer prudemment : il souhaitait des négociations sérieuses avec l’Iran sans pour autant déclencher une guerre ouverte. Il espérait forcer Téhéran, affaibli et sous pression, à revenir à la table des négociations et à faire des concessions, ce qui lui aurait offert une victoire diplomatique à domicile, face à ses détracteurs et aux faucons pro-israéliens opposés à tout accord ressemblant à celui de 2015 sur le nucléaire.

Les premières étapes des pourparlers ont été relativement fluides, axées sur des cadres généraux. Mais les choses se sont compliquées lorsque les négociations ont abordé les détails. Pour les Américains, la position iranienne — inchangée depuis l’époque Obama — est devenue plus évidente et plus problématique.

Comme à son habitude, l’Iran a tenté de jouer finement. Au lieu de profiter de la fenêtre de deux mois offerte par Trump pour conclure un accord, Téhéran a laissé passer l’échéance, préférant fixer un sixième cycle de négociations au 15 juin — après la date limite — comme un signal de défi à Washington et Tel-Aviv.

Le blocage portait sur l’enrichissement de l’uranium. Les États-Unis exigeaient initialement l’arrêt complet de l’enrichissement à usage militaire. L’Iran a accepté d’abandonner l’arme nucléaire, qu’il considérait comme une concession majeure méritant des contreparties. Mais Washington voulait interdire tout enrichissement, y compris à des fins civiles, énergétiques, scientifiques ou médicales — une ligne rouge pour l’Iran, et un rare point de consensus national entre ses diverses factions politiques.

Les négociateurs — le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi et l’Américain Steve Witkoff — ont tenté de trouver des compromis techniques. Les discussions portaient sur le niveau acceptable d’enrichissement et la levée graduelle des sanctions en échange. L’Iran demandait aussi des garanties empêchant une nouvelle sortie américaine d’un futur accord — à l’image du retrait unilatéral de Trump de l’accord de 2015.

Des propositions qui n’ont jamais vu le jour

Ces garanties concrètes n’ont jamais été apportées. L’ambiguïté persistait des deux côtés, et Téhéran refusait de geler complètement l’enrichissement, de démanteler ses installations ou de permettre des inspections américaines sous couvert de l’AIEA. L’Iran affirme que l’enrichissement est un droit garanti par le Traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP) et qu’en être privé constituerait une violation de ses lignes rouges.

Des solutions alternatives ont été évoquées, telles qu’un enrichissement limité sous supervision internationale ou régionale — par des pays voisins ou par la Russie. Washington a soutenu l’option russe, rejetée par Téhéran. Mais avant que toute piste sérieuse ne se concrétise, Israël a lancé son offensive, que l’Iran considère comme autorisée implicitement par les États-Unis.

Cette attaque a fait dérailler les négociations. Même si Trump avait publiquement promis de ne pas frapper l’Iran, Téhéran estime désormais qu’il n’a aucune raison de faire confiance à Washington. Malgré les signaux américains de volonté de reprise du dialogue, l’Iran refuse de revenir à la table dans une position affaiblie — et encore moins sous les bombes.

La priorité de Téhéran est désormais la survie, puis la reconstruction. Les dirigeants iraniens se trouvent aujourd’hui à une croisée des chemins :

- Le scénario libyen, soit un désarmement total menant à la chute du régime — une issue que l’Iran refuse catégoriquement.

- Ou le modèle nord-coréen, dans lequel la possession de l’arme nucléaire a permis de dissuader toute attaque extérieure.

Pour adopter la voie nord-coréenne, le guide suprême Ali Khamenei devrait émettre une nouvelle fatwa annulant celle de 2003 interdisant les armes de destruction massive, autorisant ainsi un enrichissement élevé et une militarisation nucléaire. Cela impliquerait l’expulsion des inspecteurs de l’AIEA, un retrait du TNP, la violation des normes internationales, et peut-être la conduite d’un essai nucléaire.

Malgré les affirmations israéliennes, même une attaque massive ne suffirait pas à détruire entièrement les capacités nucléaires de l’Iran. Le pays dispose de la technologie, du savoir-faire et des équipements nécessaires pour reconstruire rapidement.

En Iran, les partisans de la ligne dure gagnent du terrain. Le régime perçoit une menace existentielle, et l’argument en faveur d’une dissuasion nucléaire s’impose de plus en plus. Si cette logique domine, Khamenei pourrait trancher en faveur de cette voie.

Cependant, l’Iran avance sur une ligne de crête, entre deux extrêmes. Il n’ira peut-être pas jusqu’au modèle nord-coréen, mais pourrait s’en rapprocher par une posture plus affirmée. Dans tous les cas, la phase qui suit les frappes israéliennes sera radicalement différente de ce qui l’a précédée.

L’avenir s’annonce difficile. Le pays est déjà écrasé par une grave crise économique. Il espérait une levée des sanctions ; désormais, non seulement elles resteront en place, mais elles pourraient même se durcir. Les crises humanitaires et sociales risquent de s’aggraver. Israël, de son côté, espère voir émerger une contestation interne renforcée.

Dans le pire des cas, l’Iran pourrait s’enliser dans des conflits régionaux, entrer en collision avec les intérêts américains, voire faire face à une instabilité intérieure. Il se peut aussi que le temps ou l’espace politique lui manquent pour mettre pleinement en œuvre le modèle nord-coréen.

Une chose est certaine : après l’attaque israélienne, rien ne sera plus comme avant pour l’Iran.