C’est avec beaucoup de méfiance et de retenue que le Liban a observé le déroulement du scénario en Arabie Saoudite et dont l’écho a résonné dans le monde entier. Une rencontre à trois dimensions réunissant le président américain Donald Trump, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, le président syrien Ahmad al-Charaa, et, par téléphone, le président turc Recep Tayyip Erdoğan.
Lors de cette visite historique, Trump n’a pas lésiné sur les éloges. Il a décrit ce qu’il avait vu en Arabie Saoudite comme un « miracle moderne à la manière arabe ». Il a salué al-Charâa comme un leader révolutionnaire et courageux, et s’est dit impressionné par l’Arabie Saoudite sous la direction de Mohammed ben Salmane. Le Liban, bien que gardé à l'écart de la rencontre, figurait malgré tout à l’ordre du jour — sans avoir voix au chapitre.
La visite de Trump en Arabie Saoudite offre plusieurs niveaux de lecture. En recevant al-Charâa et en annonçant la levée des sanctions contre la Syrie, Trump a consacré le royaume saoudien comme parrain, référence et tuteur politique de la Syrie et du Liban. La Syrie devient ainsi le centre de gravité des intérêts économiques et politiques dans la période à venir, ce qui aura des répercussions inévitables — positives comme négatives — pour le Liban.
Trump a tracé des lignes rouges claires à l’intention d’al-Charâa, lui imposant de lutter contre toutes les formes de terrorisme, y compris l’influence iranienne, et d’œuvrer à l’éviction de Téhéran de la région. En échange, le président syrien a prodigué les assurances souhaitées, sollicitant l’aide américaine dans cette mission.
Concernant le Liban, Trump a critiqué le Hezbollah tout en saluant la relance des institutions constitutionnelles, notamment la présidence de la République. Il a semblé exhorter ces institutions à jouer pleinement leur rôle pour réduire l’influence militaire et politique du Hezbollah. Il a affirmé comprendre la position délicate du Liban face à la paix avec Israël, lui accordant du temps, mais exigeant en retour que Beyrouth garantisse la stabilité de sa frontière sud. Trump a insisté : le Liban a une occasion historique de prouver sa capacité à changer, le plaçant ainsi face à une épreuve difficile.
Des conditions strictes ont été posées à la fois au Liban et à la Syrie. Trump a promis une nouvelle ère d’investissements et de redressement économique et politique, mais il a également évoqué les Accords d’Abraham, laissant entendre que pousser le Liban à signer cet accord restait son objectif principal.
La Syrie récolte les fruits immédiats de cette visite avec la levée des sanctions, devenant une destination privilégiée pour les investisseurs, en majorité des entreprises américaines. Le Liban, lui, espère surtout le retour des réfugiés syriens, l’argument du retour volontaire perdant de sa pertinence avec l’amélioration des conditions en Syrie. Mais au-delà de ce dossier, le Liban risque de voir l’attention internationale se détourner de lui au profit d’une Syrie en pleine relance financière, économique et bancaire. Le Liban, qui aspirait à être un acteur majeur dans la reconstruction de la Syrie, voit ses ambitions compromises.
Sur le plan politique, l’inquiétude grandit face à la perspective d’un « ré-assignement » du Liban à la Syrie. Les États-Unis, connus pour leur impatience, ne comptent pas accorder au Liban un délai indéfini. Par cette visite, Trump a confié à l’Arabie Saoudite la gestion conjointe de la Syrie et du Liban. Depuis longtemps, Riyad est convaincu que « celui qui gagne la Syrie, gagne le Liban ». Désormais, la priorité est clairement donnée à Damas avant Beyrouth. Il n’est donc pas exclu de voir le Liban à nouveau placé sous l’influence syrienne, afin d’encercler le Hezbollah sur les frontières nord et dans la plaine de la Békaa, mais aussi de contrôler le trafic d’armes à travers les passages frontaliers.
Si ce retour en grâce de la Syrie rassure Damas et son président, il inquiète le Liban, empêtré dans ses querelles internes et incapable de proposer un plan de réformes crédible pour regagner la confiance internationale. Trump a replacé la Syrie sur la carte des priorités, et rappelé au Liban ses devoirs. L’Arabie Saoudite, après une longue période d’attente, retrouve son rôle de leader régional. Les regards se tournent désormais vers le Hezbollah au Liban. Le désarmement de la milice est l’épreuve la plus redoutable pour l’État libanais. Le président Aoun est sommé de réussir ce test, sous peine de lourdes conséquences.
Face aux pressions américaines et saoudiennes, le Liban a amorcé les préparatifs d’un dialogue avec le Hezbollah autour de la question des armes. Si des avancées ont été réalisées, le plus difficile reste à faire : convaincre le Hezbollah de déposer les armes, surtout après les affrontements sanglants subis par les Alaouites en Syrie.
Le spectacle offert par Trump en Arabie Saoudite et ses prises de position, partagées par le prince héritier saoudien, ont accentué l’inquiétude au sein du Hezbollah. Tous les regards se tournent vers les négociations, laborieuses, entre Téhéran et Washington. Le Hezbollah mise beaucoup sur cet espoir : soit il en sortira un apaisement, soit la région basculera dans la mise en œuvre des exigences américaines.
La visite de Trump a bouleversé les équilibres au Moyen-Orient. Comme l’a souligné Walid Joumblatt, nous faisons face à un nouveau Moyen-Orient et à une nouvelle Syrie. Mais qu’en est-il du Liban ? Exclu de la visite et de la rencontre quadripartite, le Liban a reçu un avertissement clair. À défaut, une visite de la représentante de Trump, Morgan Ortagus, est prévue à Beyrouth. Que viendra-t-elle proposer ? Et quelles seront les réponses du Liban face aux exigences posées par Trump ?