Les mesures récentes prises par les États-Unis à l’encontre du Venezuela — en particulier l’imposition d’un blocus maritime global visant les pétroliers se rendant vers le pays ou en provenance de celui-ci et transportant du pétrole soumis aux sanctions américaines — ont davantage compliqué le paysage intérieur iranien. Ce tournant a de facto mis un terme à la coopération stratégique entre l’Iran et le Venezuela dans les secteurs de l’énergie et de la construction, un partenariat qui, au fil des décennies, a généré des milliards de dollars pour les deux pays grâce à ce que l’on appelle les « flottes de l’ombre ».

Les mesures américaines interviennent dans un contexte d’accusations de Washington selon lesquelles le Venezuela aurait offert à l’Iran un terrain favorable à ses activités. Concrètement, les autorités américaines ont saisi la semaine dernière, dans la mer des Caraïbes, des pétroliers transportant du brut « soumis aux sanctions » en provenance d’Iran et du Venezuela. Des analystes politiques estiment que ces actions constituent un tournant dans la politique américaine de traitement des violations du régime de sanctions et de restriction des sources de financement de Téhéran, alors que l’Iran traverse une crise intérieure marquée par une dépréciation sans précédent de sa monnaie et un durcissement continu des sanctions américaines. La dernière salve a visé 29 navires et 20 sociétés accusés de gérer les exportations de pétrole iranien.

Alors que les coulisses du Conseil de sécurité de l’ONU restent le théâtre de débats sur la légalité du rétablissement des sanctions en septembre dernier, les mesures américaines ont capté l’attention dans un contexte d’augmentation des exportations pétrolières iraniennes. Cette dynamique a transformé l’économie iranienne en un système clandestin sophistiqué, pesant plusieurs milliards de dollars, et ayant atteint son pic depuis le retrait de Washington de l’accord nucléaire. Selon les données disponibles (TankerTrackers et UANI), les exportations pétrolières iraniennes s’élevaient entre 1,3 et 1,6 million de barils par jour à la fin de l’année 2024, contre 2,15 millions de barils par jour à la fin de l’année 2025.

La Chine, artère vitale

La Chine constitue l’artère vitale de l’Iran, absorbant près de 90 % du pétrole brut iranien, principalement via les raffineries dites « teapot » des provinces du Shandong et du Zhejiang. Ces raffineries indépendantes n’étant pas placées sous la supervision directe de Pékin, le gouvernement chinois s’appuie sur cet argument pour nier toute implication dans le contournement des sanctions. La Chine en est la principale bénéficiaire, obtenant du pétrole à des prix inférieurs d’environ 10 dollars le baril au Brent, ce qui prive Téhéran de recettes estimées entre 8 et 10 milliards de dollars par an.

La flotte fantôme

La flotte fantôme se compose de centaines de navires appartenant à plusieurs pays — dont environ 70 iraniens —, pour la plupart âgés de plus de 20 ans et techniquement inaptes à la navigation. Ces navires manipulent le système d’identification automatique en désactivant les dispositifs de suivi afin de dissimuler leur position. Le pétrole est transféré de navire à navire et mélangé à du brut d’origines différentes pour masquer la signature du pétrole léger iranien. Les opérations de transfert se déroulent généralement en mer de Chine méridionale, au large des côtes malaisiennes, avant l’acheminement des cargaisons vers la Malaisie puis la Chine. Ces navires battent en outre pavillon de pays tiers — tels que le Guyana, les Comores ou le Panama — afin d’éviter une inscription immédiate sur les listes noires.

Les échanges par troc

Bien que l’essentiel des devises iraniennes transite par la Chine, des canaux secondaires sont utilisés dans le cadre d’échanges stratégiques en nature. Cette « économie fondée sur le troc » représente entre 5 et 10 % des exportations et fonctionne comme un système d’échanges géopolitiques. Le Venezuela arrive en tête, échangeant du pétrole brut contre des condensats — produits pétroliers iraniens — permettant aux deux pays soumis aux sanctions de poursuivre leur production locale de carburants. La Russie occupe la deuxième place, avec des échanges pétrole-technologie dans le secteur aéronautique, tandis que l’ancien régime syrien figurait en troisième position, avec un volume quotidien d’environ 40 000 barils.

Le système financier

Téhéran a mis en place un système bancaire parallèle qui n’utilise ni le dollar américain ni l’euro, mais recourt au yuan chinois pour l’ensemble des transactions avec la Chine. Les recettes sont déposées sur des comptes iraniens à la Bank of Kunlun ou dans des banques régionales plus modestes n’ayant pas de relations avec les États-Unis. Les autorités iraniennes recourent également au système de hawala, un réseau informel de transfert de valeur fondé sur des registres de crédit, qui ne laisse aucune trace numérique exploitable par les autorités de contrôle occidentales. Parmi les autres mécanismes utilisés figure le « Kish Club », créé pour assurer protection et indemnisations, en remplacement des assurances internationales qui refusent de couvrir les pétroliers non agréés.

Au total, le volume cumulé des canaux d’exportation est estimé entre 2,1 et 2,2 millions de barils par jour, répartis comme suit :

Flotte de l’ombre vers la Chine : 1,8 à 2,05 millions de barils par jour, principalement à destination du Shandong.

Troc avec la Russie, le Venezuela et la Syrie : 100 000 à 150 000 barils par an.

Contrebande régionale (Irak, Oman, Pakistan) : 40 000 à 60 000 barils par jour.

Commerce officiel (pétrole contre denrées alimentaires) : environ 10 000 barils par jour.

Un système au bord de l’effondrement ?

La mise au jour de ce système devrait entraîner de nouvelles pressions, notamment des sanctions contre les acteurs identifiés. La flotte clandestine, vieillissante, risque elle-même l’effondrement en raison de son obsolescence. Plus déterminant encore, le possible retour du mécanisme de « réactivation automatique » des sanctions — le snapback, surnommé le « Snapback Hammer » — a rendu les prestataires maritimes, les compagnies d’assurance et les sociétés de classification beaucoup plus prudents, malgré l’engagement de la Chine et de la Russie à ignorer ce mécanisme onusien, lequel renchérirait considérablement le coût de chaque exportation de pétrole iranien.

En définitive, le rebond des exportations pétrolières iraniennes en 2025 constitue une victoire tactique pour Téhéran, qui a réussi à soustraire ses revenus à la surveillance occidentale. Cette réussite a toutefois un coût élevé : l’Iran est désormais largement dépendant de la Chine et de sa « générosité ». Si des recettes mensuelles estimées à environ 4,2 milliards de dollars suffisent à maintenir l’appareil sécuritaire, elles demeurent insuffisantes pour combler un déficit d’infrastructures estimé à un milliard de dollars, ni pour juguler une inflation avoisinant les 50 %, qui continue de peser lourdement sur les citoyens iraniens.