L’examen attentif de l’effondrement économique qu’a connu le Liban mène à une vérité amère : l’État a « dévoré » ses propres citoyens. Ce « festin sauvage » n’aurait jamais pu être préparé sans un système qui a entretenu les flammes du monopole étatique sur les secteurs vitaux, tout en diabolisant quiconque appelait à la privatisation. Et lorsque ce feu a commencé à faiblir au début des années 2000 — sous la menace internationale de ne plus fournir d’aide financière — le système a ravivé les braises à travers les autorités de régulation.

Ainsi sont nés, lors de la conférence « Paris I », des organismes indépendants censés ouvrir les marchés à la concurrence dans l’électricité, les télécommunications, l’aviation et les travaux publics, brisant le monopole public. Mais une fois les fonds obtenus, ces résolutions sont restées lettre morte pendant plus d’un quart de siècle.

Aucune des revendications appelant à réduire la taille d’un secteur public hypertrophié — qui absorbe les recettes et alourdit la dette — n’a abouti. « Nous avons atteint l’effondrement total en 2019 en raison du cumul des déficits budgétaires, du manque de productivité des institutions publiques et de l’accumulation de leurs pertes année après année », affirme le député Neemat Frem, président du conseil exécutif du « Projet Patrie de l’Homme ».

Pourtant, la situation dans laquelle nous stagnons depuis six ans n’est pas une fatalité : lorsque la cause disparaît, l’effet disparaît aussi. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer une Autorité d’Investissement des Actifs de l’État — « HUTAD » — inspirée de modèles internationaux ayant fait leurs preuves, notamment l’expérience grecque. Cette idée s’est rapidement transformée en projet de loi, que le député Frem a soumis au Parlement il y a deux mois, et révélé publiquement lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes économiques.

Le projet de loi prévoit la création d’une autorité nationale publique indépendante composée de six membres nommés par décret, sur recommandation conjointe du Conseil de la fonction publique et d’un cabinet de recrutement international, tout en respectant l’équilibre confessionnel. Les actifs détenus totalement ou partiellement par l’État seraient confiés à cette autorité par décret du Conseil des ministres, pour une durée allant de 30 à 50 ans, renouvelable.

L’autorité serait chargée de préparer des études de faisabilité, d’élaborer des plans d’investissement stratégiques, et de créer des sociétés commerciales spécialisées pour gérer ces actifs, en contrôlant leur performance à travers une représentation au sein de leurs conseils d’administration. Elle serait également responsable d’attirer des investisseurs privés et des déposants éligibles. Les actifs reviendraient à l’État à la fin de la période d’investissement ou lors de la dissolution des sociétés, selon des mécanismes définis par la loi.

L’importance du projet

L’intérêt majeur de cette proposition réside dans le fait qu’elle « protège les biens publics d’une vente à des prix dérisoires en raison de la crise — comme ce fut le cas en Russie après l’effondrement de l’Union soviétique », explique Frem.

Elle instaure également un nouveau modèle fondé sur la productivité et la reddition de comptes. Plus important encore, selon lui, elle redonne de la vitalité à l’économie nationale, améliore le niveau des services publics pour les citoyens libanais et crée une voie — parmi d’autres — pour des opportunités d’investissement privé destinées aux déposants dont les fonds ont été bloqués dans les banques avant l’effondrement.

Selon le projet de loi sur l’organisation financière et la restitution des dépôts, les déposants possédant plus de 100 000 dollars recevront des « billets à ordre » d’une durée de 10 à 20 ans. Les détenteurs de ces billets pourront acheter des actions dans les sociétés créées pour investir les actifs de l’État, leur garantissant ainsi de récupérer la totalité — voire davantage — de la valeur de leur dépôt si ces sociétés réussissent et que la valeur de leurs actions augmente.

Le dilemme du secteur public

Historiquement, le secteur public a représenté environ 30 % de la main-d’œuvre au Liban. Il a possédé, au fil des années, près de 70 institutions, dont la plupart détenaient des monopoles ou des droits exclusifs — notamment dans l’électricité, les télécommunications, l’eau, la production et l’importation du tabac, le casino, les chemins de fer et le transport aérien.

Malgré cet immense portefeuille d’institutions, de terrains et de biens publics, leur production totale n’a atteint que 1,061 milliard de dollars dans le budget 2026 — soit 17 % seulement des recettes totales.

Ces institutions constituent la « cour arrière » de la classe politique, qui y place ses clientèles et y conclut des contrats publics. Pour cette raison, Frem s’attend à une forte opposition politique à son projet.

Un État du XXIe siècle

Limiter le rôle de l’État à la sécurité et à la justice — comme dans la plupart des pays modernes — et laisser la gestion des institutions à des professionnels pourrait tirer le Liban de son calamiteux marasme économique et compenser des décennies d’occasions manquées.

Selon Frem, la transition vers un État du XXIe siècle s’articule autour de trois objectifs majeurs intégrés dans le projet « HUTAD » : améliorer la qualité des services publics, réduire leurs coûts, mettre fin à l’exploitation politique des institutions de l’État, attirer les capitaux et rendre justice aux déposants.

Au-delà des institutions existantes

La mission et les ambitions de HUTAD dépassent largement l’amélioration et la gestion des institutions existantes. Elles visent à exploiter le potentiel d’investissement encore inexploité du Liban, un potentiel considérable et extrêmement précieux.

L’État libanais détient en effet des droits souverains pour accorder des concessions et licences sur les domaines publics terrestres, maritimes et aériens — telles que les autorisations de remblaiement maritime, les licences pour la création d’îles artificielles, les droits d’utilisation de l’espace aérien, les licences de télécommunications, et bien plus encore. Ces concessions n’ont pas de prix, tout comme les revenus qu’elles peuvent générer.

Les institutions existantes — ainsi que celles susceptibles de naître des besoins futurs — seraient placées « en fiducie », pour une période limitée, sous la gestion de l’Autorité d’Investissement des Actifs de l’État, avec une garantie d’une participation de 30 % pour l’État, qualifiée par Frem de « tiers de blocage ».

Si ce mécanisme est adopté par la loi et préservé des tiraillements politiques, il renforcerait la gouvernance institutionnelle, augmenterait la productivité, améliorerait la qualité des services, réduirait les coûts et générerait des revenus substantiels pour l’État — largement supérieurs à ceux qu’il perçoit actuellement — revenus susceptibles d’être réinvestis dans la protection sociale.