Le gouvernement a approuvé les trois mesures jugées nécessaires pour sortir de l’effondrement financier. Après l’adoption des lois levant le secret bancaire et restructurant le secteur bancaire, le projet de loi sur « le rétablissement de l’ordre financier et la récupération des dépôts » a vu le jour, avec une adoption attendue avant la fin de l’année.
Le projet n’a pas dérogé aux attentes. Il s’agit d’une loi-cadre, dépourvue de chiffres et de détails techniques sur la forme. Sur le fond, en revanche, il s’inscrit dans le récit qui a été promu, faisant porter l’essentiel des pertes à la Banque du Liban, tandis que l’exposé des motifs introduit un élément nouveau en imputant à l’État la responsabilité de l’effondrement, en raison de son défaut de paiement des eurobonds.
Le texte s’étend sur 14 pages et comprend 18 articles traitant de trois axes principaux :
Premier axe
Le traitement des créances irrécouvrables ou quasi irrécouvrables, à travers une série de mesures, notamment :
La conversion de la dette de la Banque du Liban envers l’État en une dette perpétuelle assortie d’un taux d’intérêt de 2 %, sans en préciser le montant.
Le gel des dépôts d’origine douteuse et leur transmission à la Commission spéciale d’enquête pour vérification.
La récupération des intérêts versés au-delà de 2 % et leur restitution aux bilans des banques.
L’imposition d’une taxe de 20 % sur les dépôts supérieurs à 100 000 dollars retirés après l’effondrement.
Le rétablissement à leur valeur réelle des dépôts convertis de la livre libanaise en dollar après le 17 octobre 2019, pour des montants dépassant 100 000 dollars, et leur inscription comme écritures inverses dans les comptes bancaires.
Deuxième axe
Les dépôts sont répartis en quatre catégories :
Les dépôts de 100 000 dollars ou moins, remboursés en espèces en quatre échéances sur quatre ans.
De 100 000 à 1 million de dollars : conversion en certificats financiers adossés à des actifs (catégorie A), arrivant à échéance après 10 ans, avec un taux d’intérêt non composé de 2 %.
De 1 à 5 millions de dollars : conversion en certificats de catégorie B, arrivant à échéance après 15 ans, avec un taux d’intérêt non composé de 2 %.
Au-delà de 5 millions de dollars : conversion en certificats de catégorie C, arrivant à échéance après 20 ans, avec un taux d’intérêt non composé de 2 %.
Troisième axe
La création d’un Fonds de récupération des dépôts, auquel seront affectés des actifs destinés à couvrir les certificats. Ceux-ci incluent, outre les actifs de la Banque du Liban, les revenus issus des matières premières et des métaux précieux, ce qui revient, dans les faits, à ouvrir la voie à la monétisation de l’or.
Où est la justice ?
L’avocat spécialisé dans la supervision des banques centrales, le Dr Pascal Daher, estime que ce projet de loi ne s’inscrit ni dans les principes fondamentaux de la gestion des crises financières ni dans les méthodologies de répartition des pertes adoptées à l’échelle internationale. Au lieu de déterminer les responsabilités conformément aux règles de la comptabilité publique, aux normes de contrôle bancaire et aux lois en vigueur, « le projet adopte une approche fondée sur le transfert des passifs financiers », explique-t-il. Bien que le texte reconnaisse l’existence d’opérations irrégulières menées par les banques, il impose néanmoins des mesures directes aux déposants, notamment le gel des comptes dépassant 100 000 dollars et leur retrait des bilans bancaires pour être placés dans un « fonds » dépourvu de personnalité morale. Selon Daher, « cette méthode est contraire aux normes de transparence comptable et rompt le lien juridique entre les banques et leurs déposants ».
Le projet-cadre visant à rétablir l’ordre financier et à restituer les dépôts ne précise pas l’ampleur du déficit financier, tout en autorisant les banques à reconstituer leurs fonds propres sur une période de cinq ans. Cela traduit, selon Daher, « une négligence des données fondamentales sur lesquelles reposent les plans de restructuration et révèle l’absence d’une approche scientifique fondée sur des données fiables ».
La mise à l’écart des dépôts en livres
Malgré ces insuffisances, le projet de loi exclut de son champ d’application les succursales de banques étrangères opérant au Liban. Cette exception revêt une portée académique évidente, démontrant que ces succursales ne se sont pas engagées dans les risques de crédit et les ingénieries financières à l’origine de la crise, « ce qui confirme le caractère non systémique de la crise », selon Daher.
Si la loi est adoptée et mise en œuvre en l’état, les certificats accordés aux détenteurs de comptes en dollars supérieurs à 100 000 dollars s’apparenteraient à de simples reconnaissances de dette sans valeur réelle en l’absence de confiance dans leur recouvrement. Les déposants subiraient de fait des pertes en raison d’une inflation élevée dépassant 16 %, face à un taux d’intérêt plafonné à 2 %. Après six années de souffrances pour les déposants et l’économie, « le pouvoir a accouché d’une loi qui ampute les dépôts de plus de 30 milliards de dollars », affirme l’expert bancaire Nicolas Cheikhani, « en échange d’un engagement à ne restituer que quelques milliards de dollars ». Selon lui, « cette loi est inconstitutionnelle car elle contredit l’article 15 garantissant la protection de la propriété, et illégale pour violation du Code des obligations et des contrats, en portant atteinte à la force obligatoire du contrat ». Plus encore, ajoute-t-il, le texte est exposé à des recours et il est difficile qu’il obtienne l’aval du Fonds monétaire international. Le plus dangereux dans ce projet réside peut-être dans l’occultation des dépôts en livres libanaises, dont la valeur dépasse 60 000 milliards de livres (l’équivalent auparavant de 40 milliards de dollars), comme si le projet disait au déposant qui a fait confiance à la monnaie souveraine de son pays : vous vous êtes trompé et vous avez tout perdu.
Le gouvernement devrait adopter la loi avant la fin de l’année et la transmettre au Parlement. Celui-ci se trouvera alors face à deux options : soit l’enterrer dans les commissions jusqu’après les élections législatives, au mieux, soit parvenir à un compromis global fondé sur l’idée du « pardon et de l’oubli », comme après la guerre civile, et ouvrir une nouvelle page. Entre les deux, le moindre mal n’en demeure pas moins amer.
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