La crise monétaire libanaise revient à chaque fois à la case départ avec chaque nouveau projet de loi visant à répartir les pertes. La dernière proposition, désormais dans sa neuvième version, ne diffère guère des précédentes ébauches et plans de redressement sur un point essentiel : elle est rejetée en bloc par l’Association des banques du Liban (ABL), qui estime qu’elle porte atteinte aux droits des déposants et évacue les principes de responsabilité et de justice.

Dans sa première réaction, l’ABL a adressé une lettre ouverte aux trois présidents ainsi qu’aux déposants, exposant sa position sur le projet de loi relatif à l’ordre financier et à la restitution des dépôts, et appelant à une coopération afin de parvenir à une solution consensuelle susceptible de contribuer à la relance du Liban.

La position des banques

En résumé, l’ABL propose d’imputer à l’État l’entière responsabilité de la fracture financière et de liquider les actifs de la Banque du Liban (BDL) afin de récupérer les fonds que les banques y détiennent. Selon l’association, les actifs de la BDL — notamment l’or, évalué à environ 39 milliards de dollars, Middle East Airlines, des biens immobiliers, le casino et d’autres propriétés — suffiraient, s’ils étaient vendus, à couvrir une grande partie de ses engagements envers les banques commerciales. Les montants restants seraient pris en charge par l’État via la couverture du déficit du budget de la BDL, conformément à l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit. Cela permettrait à la banque centrale de restituer les dépôts des banques, lesquelles pourraient à leur tour rembourser les déposants — « et l’affaire serait close ».

Une contre-offensive

Au-delà du débat récurrent sur la nature de la crise — systémique, comme le soutiennent les banques pour en faire porter la responsabilité à l’État, ou résultant de dysfonctionnements profonds du système bancaire — l’escalade de l’ABL apparaît comme une contre-offensive face aux récentes décisions du parquet financier et de la BDL.

De fait, le projet de loi sur l’ordre financier et la restitution des dépôts constitue le scénario le plus favorable que les banques puissent espérer. Hormis le remboursement en espèces jusqu’à 100 000 dollars étalé sur quatre ans, le texte transfère l’ensemble des dépôts dépassant ce seuil des bilans bancaires vers un Fonds de restitution des dépôts, allégeant ainsi une charge lourde et offrant aux banques la possibilité de reconstituer leurs fonds propres sur de longues années.

Toutefois, l’ABL considère que la contribution attribuée à la BDL pour couvrir les pertes n’est, en réalité, que l’argent des banques commerciales déposé auprès d’elle au titre des réserves obligatoires. Partant, le projet ferait peser une charge colossale de pertes sur les banques commerciales, au point d’empêcher la poursuite de l’activité de tout établissement.

La décision du parquet financier

L’escalade de l’ABL et son rejet catégorique du projet de loi ne peuvent être dissociés de la demande du procureur général financier, le juge Maher Cheayto, transmise par la BDL, exigeant la communication des relevés et des mouvements de comptes, depuis 2019, des propriétaires de banques, de leurs dirigeants et de leurs familles.

Cette demande est contraignante, car elle est conforme à la circulaire n°171 de la BDL, publiée le 14 octobre 2025, qui oblige les banques à répondre aux demandes de levée du secret bancaire émanant de la BDL et/ou de la Commission de contrôle des banques, sans pouvoir invoquer quelque motif ou excuse que ce soit. Elle est également conforme à la loi n° 306 de 2022 modifiant le secret bancaire, qui retire le bénéfice du secret aux personnes visées par de telles demandes, explique Karim Daher, enseignant en droit fiscal et en finances publiques. Il ajoute que l’amendement introduit par la loi n° 1/2025 permet en outre à la BDL et à la Commission de contrôle des banques de demander la levée du secret bancaire avec effet rétroactif sur une période allant jusqu’à dix ans.

Les craintes des propriétaires de banques tiennent au risque de saisie de leurs avoirs en vertu de lois bancaires spécifiques, telles que les lois 2/67 et 110/91, en cas de constatation de cessation de paiements, ce qui pourrait mener à des poursuites et à l’engagement de leur responsabilité personnelle pleine et entière. S’y ajoutent, selon Daher, diverses dispositions des lois en vigueur, notamment le droit commercial et le Code pénal, en particulier l’article 699 du Code pénal, qui incrimine le fait d’amener autrui à remettre des fonds ou de tenter, par fraude, de réduire les pertes que l’on pourrait subir.

Il existe également des infractions liées à l’utilisation d’informations privilégiées à des fins personnelles, au regard de la loi 160, ainsi qu’au transfert de fonds à l’étranger, ce qui a pour effet d’affaiblir les garanties susceptibles d’être offertes aux déposants. Ces textes permettent au parquet financier d’engager la responsabilité directe des banquiers. Cette démarche, souligne Daher, est distincte de la « loi sur la fracture financière » et vise à enquêter sur des crimes qui pourraient avoir été commis sans encore être révélés au grand jour.

La récupération des fonds transférés

La mesure qui a le plus alarmé les banquiers est intervenue quatre mois après que le parquet financier a demandé à toute personne ayant transféré des fonds à l’étranger durant la période de l’effondrement financier de les rapatrier. Cette demande constituait, selon Daher, une « carotte » destinée à encourager une restitution volontaire. En cas de non-respect, le « bâton » des poursuites et des mesures coercitives serait inévitablement brandi.

Il semble toutefois que les déposants en général — et les banquiers en particulier — n’aient pas pris cette demande au sérieux, ce qui a conduit les autorités à durcir le ton.

L’escalade des tensions à différents niveaux pourrait déboucher sur l’un des deux scénarios : soit une explosion totale aggravant la crise, soit une prise de conscience collective de la nécessité du dialogue et de négociations. L’essentiel, selon Daher, est de parvenir à une solution globale qui répartisse les responsabilités entre tous les acteurs, et non de les faire peser sur une seule partie, comme le fait la loi sur le trou noir financier.

Si cette loi impute des responsabilités à plusieurs parties, elle passe sous silence ceux qui ont bénéficié de dizaines de milliards de dollars de subventions, ceux qui ont remboursé des prêts à des valeurs irréelles aux dépens des fonds des déposants, ceux qui ont exploité la plateforme Sayrafa pour des milliards, ainsi que les acteurs influents ayant transféré leurs capitaux à l’étranger. L’équité, conclut Daher, exige une répartition juste des pertes entre l’ensemble des parties, plutôt que de les cantonner aux seules banques et à leurs propriétaires.