En s’appuyant sur l’adage bien connu « Un voisin proche vaut mieux qu’un frère lointain », des centaines d’entreprises libanaises se sont récemment précipitées pour investir en Syrie. « Plus de 500 entreprises ont été officiellement enregistrées en Syrie », a révélé Mohammad Choucair, président des instances économiques libanaises. Le secteur privé libanais a également reçu une impulsion supplémentaire du président syrien Ahmad al-Charaa, qui, selon des déclarations faites après sa rencontre avec le vice-premier ministre Tarek Mitri, a affirmé travailler à tourner la page du passé avec le Liban et à ouvrir la voie à une coopération bilatérale.

Cet élan renouvelé des investisseurs libanais envers la Syrie découle d’un ensemble de facteurs, comme l’explique l’analyste économique syrien et directeur de la plateforme « Iqtisadi », Younes al-Kareem. Parmi les facteurs principaux :

- Des pressions arabes — en particulier des États du Golfe — qui déploient de grands efforts pour soutenir le gouvernement du président al-Charaa.

- La volonté des investisseurs libanais de s’étendre au-delà des frontières, dans un contexte de stagnation économique au Liban, notamment sur le plan des réformes, ainsi qu’en raison de l’instabilité sécuritaire persistante.

- La conviction que la Syrie n’est pas seulement un pays voisin riche en opportunités d’investissement dans tous les secteurs, mais aussi une porte d’ouverture du Liban vers le monde extérieur.

- Le pari sur le besoin urgent de la Syrie en soutien, afin de se relever des crises engendrées par des années de guerre, ce qui la rend plus réceptive à toute aide qu’elle reçoit.

- Une démarche visant à satisfaire les pays soutenant la Syrie, qu’il s’agisse des États-Unis ou des pays arabes, en collaborant avec eux dans la reconstruction du pays voisin.

Des obstacles économiques

Ces grands titres peuvent sembler encourageants au premier abord. Toutefois, lorsqu’on plonge dans les détails, une longue liste d’obstacles apparaît — des difficultés qui entravent l’expansion et le renforcement de la coopération économique et empêchent sa reconstruction sur une base d’égalité et d’intérêt mutuel.

Le Liban a été l’un des grands absents de la 62ᵉ édition de la Foire internationale de Damas — organisée du 27 septembre au 5 août — consacrée à la reconstruction. Alors que plus de 70 entreprises arabes y ont participé, le Liban n’avait ni pavillon dédié ni présence d’entreprises libanaises. De plus, les relations économiques syro-libanaises manquent actuellement d’un cadre structuré de coopération : aucune initiative n’a encore été prise pour créer un conseil d’affaires conjoint qui servirait de passerelle organisationnelle et économique entre les secteurs privés des deux pays, afin de faciliter les affaires et d’élargir les investissements. Ce rôle était autrefois rempli par le « Conseil supérieur syro-libanais », récemment dissous.

Parmi les risques pesant sur les investissements libanais en Syrie figure la possibilité que de grandes banques à capital libanais se retrouvent en difficulté, à la suite de la décision de la Banque centrale syrienne de considérer leurs dépôts bloqués dans les banques libanaises — estimés à 1,6 milliard de dollars — comme des créances irrécouvrables. Par conséquent, elle leur a imposé une provision de 100 %. Comme une telle mesure nécessite une injection de nouveaux capitaux que les banques libanaises ne peuvent peut-être pas fournir, cela pourrait les contraindre à quitter le marché syrien.

Des défis juridiques et politiques

Établir des relations équilibrées nécessite de revoir les lois régissant les importations, les exportations, les droits de douane et les frais de transit. Bien que les deux pays appliquent officiellement des tarifs douaniers, les commerçants libanais ont récemment signalé une augmentation des frais douaniers informels atteignant près de 18 %. À cela s’ajoutent les coûts élevés que la Syrie impose au transit des marchandises libanaises sur son territoire — toujours supérieurs à 2 000 dollars par camion — malgré des tentatives de réduction de ces frais de 50 %.

Alors que le Liban cherche à développer ses investissements à l’étranger, la Syrie, de son côté, a besoin d’investissements massifs et structurants pour sortir son économie de l’état de destruction où elle se trouve. Les secteurs des ports maritimes et aériens, de l’électricité, des télécommunications, des routes et des chemins de fer nécessitent des capitaux colossaux — souvent impossibles à réunir autrement que par de grandes multinationales ou même par des investissements étatiques complets.

Tel est l’aspect économique. Sur le plan politique et sécuritaire, la relation nécessite un examen global, incluant la délimitation des frontières terrestres et maritimes, la question des prisonniers syriens dans les prisons libanaises, ainsi que le renforcement de la sécurité et la prévention des violations frontalières.

L’occasion existe — mais…

Bien que ces mesures soient essentielles, elles risquent de ne pas voir le jour de sitôt en raison de divers facteurs internes liés à la volonté politique et à la capacité institutionnelle. Cela pourrait créer une ouverture permettant aux investisseurs de procéder « au cas par cas », en convainquant les parties concernées de leur accorder des parts de projets ou des agences exclusives. Cependant, « un tel type de relation n’est pas professionnel et pourrait ne pas durer », affirme Younes al-Kareem, ajoutant que « la nouvelle direction en Syrie s’emploie à encourager les talents locaux et à attirer les compétences syriennes parties à l’étranger en raison de la crise ».

S’il existe une véritable opportunité pour les investisseurs libanais, selon lui, elle réside dans l’obtention d’agences arabes et internationales pour travailler en Syrie, en raison de la faiblesse persistante des circuits intermédiaires d’affaires dans le pays. Cela nécessite de proposer des solutions fondées sur une étude sérieuse et approfondie de la réalité syrienne — une approche qui attire aussi bien les Syriens que les investisseurs internationaux potentiels.

La fenêtre d’opportunité est ouverte pour les investisseurs libanais — mais le temps presse. S’en saisir ne nécessite pas seulement de structurer la coopération bilatérale avec la Syrie, mais aussi d’accélérer les réformes internes au Liban. La réintégration de la Syrie dans le système international, la suspension des sanctions, la réactivation du système bancaire SWIFT, l’afflux d’investissements majeurs dans ses ports maritimes, et l’accès retrouvé à des importations auparavant interdites pourraient permettre à la Syrie, dans un avenir proche, de ne plus dépendre du Liban comme plateforme financière et logistique pour les transferts d’argent et les opérations d’importation.

Cette nouvelle réalité pourrait ramener le déficit commercial entre le Liban et la Syrie — après qu’il a enregistré, selon l’Annuaire des exportations et des industries libanaises, un excédent de plus d’un demi-milliard de dollars en faveur du Liban entre 2016 et mars 2025.