On dit souvent, pour critiquer certains systèmes injustes, que « les lois sont faites pour être violées ». Cette expression s’applique-t-elle aussi aux circulaires ?

Si les lois occupent un rang supérieur à toutes les autres décisions et circulaires — juste en dessous de la Constitution — elles n’en sont pas moins régulièrement bafouées au Liban, directement ou indirectement. Ce non-respect récurrent des textes légaux a ouvert la voie à de multiples dérives, permettant à certaines institutions financières de contourner les circulaires et les mesures réglementaires émises par la Banque du Liban (BDL), notamment celles visant à protéger les déposants contre les frais bancaires excessifs.

Des commissions arbitraires et injustes

Les clients des banques se plaignent depuis longtemps de la hausse des commissions, souvent jugées abusives et opaques. Beaucoup les comparent à une « scie » qui coupe dans les deux sens : au retrait, au dépôt, et même pour une simple opération administrative comme la validation d’une signature. Ces commissions réduisent la capacité des déposants à bénéficier pleinement des montants autorisés par la BDL et varient d’une banque à l’autre, sans critères transparents ni uniformes.

Un exemple concret illustre cette injustice : les frais prélevés sur les retraits régis par les circulaires 158 et 166, qui autorisent respectivement des retraits de 800 $ et 400 $ des comptes en dollars ouverts avant et après octobre 2019. Certaines banques interdisent pourtant les retraits au guichet et obligent leurs clients à passer par les distributeurs automatiques, en facturant entre 1 % et 1,5 % par opération. Résultat : pour un retrait de 400 $, le client ne reçoit que 394 $, et comme les DAB imposent un plafond, il doit effectuer deux retraits au lieu d’un seul, doublant ainsi la commission à environ 12 $.

Pire encore : les comptes créés pour ces circulaires sont souvent des sous-comptes rattachés à un compte principal, lui-même soumis à des frais de « maintenance » ou d’« exploitation ». Ces déductions supplémentaires contreviennent pourtant aux directives de la BDL, qui stipulent que les retraits doivent être effectués intégralement et sans aucun prélèvement.

L’intervention de la Commission de contrôle des banques

Face à ces abus croissants, la Commission de contrôle des banques a publié au début du mois une nouvelle note relative aux comptes de dépôt et aux frais qui y sont associés. Celle-ci s’appuie sur la Circulaire de base n° 147 de la BDL, modifiée par la Circulaire intermédiaire n° 679 en 2023, interdisant formellement toute imposition de nouveaux frais qui n’étaient pas en vigueur avant le 31 octobre 2019.

La circulaire oblige également les banques à établir une liste détaillée et vérifiée de tous les frais appliqués, de leurs méthodes de calcul et de perception, et à afficher cette liste clairement au siège central, dans toutes les agences et sur leurs sites web. En cas de non-respect, la Commission peut appliquer les sanctions prévues par l’article 208 du Code de la monnaie et du crédit, pouvant aller jusqu’à la radiation de la banque de la liste des établissements agréés.

Réactivation des comptes dormants

Pour encourager la relance des « comptes dormants », la Commission a décidé que tous les comptes non alimentés en espèces et devenus inactifs après le 31 octobre 2019 seraient automatiquement reclassés comme actifs dans un délai d’un mois à compter de la publication de la note, sans que le client ait besoin de se présenter en personne.

L’expert en risques bancaires, le Dr Mohammad Fheili, précise que les « comptes non monétaires » sont ceux ouverts ou alimentés par chèques plutôt que par liquidités. Après la fermeture de la Jammal Trust Bank en 2019, la BDL avait d’ailleurs ordonné à plusieurs banques d’ouvrir de tels comptes, transférant d’importantes sommes via chèques entre établissements.

Ces comptes ne seront toutefois pas considérés comme dormants tant que le processus de restructuration du secteur bancaire ne sera pas achevé. Seuls les comptes dont les titulaires sont injoignables par tout moyen seront exclus de cette mesure, afin que les banques puissent les informer des risques liés à l’inactivité de leurs comptes.

Réduction des engagements avant la restructuration

Même si la réactivation d’un compte peut permettre à un déposant de bénéficier des circulaires 158 et 166, chaque banque conserve la possibilité d’imposer sa propre commission. La Circulaire 151, plus ancienne et aujourd’hui expirée, n’est plus concernée.

Selon le Dr Fheili, « tandis que les autorités prétendent protéger les petits déposants, les mesures prises profitent surtout aux banques. En considérant chaque déposant comme un seul client, même s’il possède plusieurs comptes dans différentes institutions, le secteur réduit mécaniquement ses engagements globaux. Dans le même temps, les banques continuent de régler les dépôts en dollars au taux obsolète de 15 000 livres pour un dollar, ce qui traduit une volonté claire de réduire leurs obligations avant toute éventuelle restructuration — si jamais celle-ci voit le jour ».

L’épreuve du terrain : l’application

Mettre des règles sur papier est une chose ; les appliquer en est une autre. Le cadre légal encadrant les commissions existe déjà — notamment la Circulaire 147 de 2019 — mais les banques l’ignorent depuis longtemps sans conséquence. À moins que cette nouvelle initiative ne s’accompagne d’un contrôle rigoureux, de sanctions effectives et du suivi judiciaire des plaintes déposées par les déposants, elle risque de rester lettre morte. Ce serait alors une nouvelle occasion manquée de protéger les clients contre des violations répétées, maquillées sous couvert de réglementation.