Florent Machabert ,major de l'École Des Hautes Études Commerciales, agrégé de sciences économiques analyse la nouvelle victoire électorale du Président Milei.
Comment expliquer cette écrasante victoire de Javier Milei aux élections de mi-mandat ?
Si le parti La Libertad Avanza (LLA) du leader argentin a récolté près de 41% des voix au niveau national, ce n'est ni le fruit d'un quelconque génie politique ni de la tendance qu’auraient les Argentins, très tenace pour le coup en France, à chercher un homme providentiel pour sauver le pays : c’est, au contraire, le rejet, violent, massif, « d'un siècle de gabegie péroniste », pour reprendre les mots de Milei. Le peuple argentin, exsangue avant 2023, a souhaité envoyer à Milei un message clair : «Javier, continue de tronçonner l'establishment ! »
Au fond, les Argentins n'ont pas voté pour leur Président : ils ont voté contre la misère et contre l'inflation à au moins trois chiffres (près de 130% l’année de l’arrivée au pouvoir de Milei, sans parler de l’hyperinflation de mars 1990) que les politiciens leur ont servies. Avec 68% de participation – soit 12 points de plus qu’au second tour des législatives de 2022 en France ! – l'abstention et le vote blanc ont cependant été forts pour l’Argentine.
La plupart des médias de Gauche lui promettaient une raclée !
C'est toute la différence entre la prophétie médiatique et la réalité du suffrage ! En promettant au parti LLA une large défaite, ils ont livré une éloquente démonstration de leur déconnexion. Si cela n’a pas toujours été le cas en Occident, la tendance de la gauche – et de son appareil de propagande médiatique – à travestir le réel va en s’aggravant. C’est en s’aveuglant de la sorte que la « caste de Davos » – au forum économique de laquelle Milei s’était illustré en janvier 2024 par son plaidoyer anarcho-capitaliste – n’a vu venir ni la victoire du NON au référendum de 2005 en France, ni celle du OUI au Brexit en 2016 et encore moins la première victoire de Donald Trump face à Hillary Clinton, donnée, là aussi, largement gagnante ! Le scandale de corruption impliquant la propre sœur de Milei, secrétaire de la Présidence, les a semble-t-il dédouanés de toute analyse réaliste et factuelle de la tectonique électorale à l’œuvre.
Tirons-en un enseignement : dès qu’il a besoin d'un changement radical, l'électeur se passe très bien de toute leçon de morale médiatique !
Donald Trump a promis, à l’Argentine, une aide de 40 milliards de dollars. Cette annonce a-t-elle pesé sur le scrutin ?
De quoi s’agit-il ? D’un plan d’assistance des États-Unis combinant soutien à la devise et prêts privés. L’annonce pré-électorale de ce coup de pouce financier, vital pour un pays encore fragilisé par une inflation à deux chiffres et par le manque de réserves de change, a constitué un affichage stratégique parfaitement orchestré : celui du rapprochement entre Buenos Aires et Washington, qui s’annonce décisif pour la crédibilité économique du pays sur la scène internationale. Dit autrement, cette annonce a dénoué le nœud gordien de l'incertitude pour les acteurs financiers, offrant une caution géopolitique aux idées libertariennes de Milei. Aussi, dire qu’elle n’a trouvé aucun écho dans les urnes serait faux. Mais son effet a probablement été relativement marginal sur l’électeur argentin lambda.
Milei n’aura pas de majorité absolue mais il va poursuivre ses réformes… En plein débat budgétaire en France, le courage politique du «Trump de la Pampa » siffle aux oreilles de toute notre classe politique ! Non ?
La comparaison est d’autant plus cruelle que le régime argentin est également hyper-présidentiel, ce qui fait ressortir que la clef de voûte pour redresser un pays est la légitimé de l’Exécutif, à commencer par celle du Président. Bien que n’ayant aucune tradition parlementariste, l’Argentine a su avancer depuis 2023 – et continuera a fortiori de le faire – au gré d’alliances pragmatiques de LLA, notamment avec le centre-droit (Juntos por el Cambio), acquis à l’agenda de Milei.
L’inflation argentine recule nettement, les dépenses publiques aussi , le taux de pauvreté aussi si l’on en croit l’Institut national de la statistique argentine. Ces très bons résultats sont-ils avérés et solides ?
C’est une vague de confiance sans précédent qui a déferlé sur les marchés argentins dans la foulée de ces élections de mi-mandat : la bourse de Buenos Aires a flambé de 20%, le peso bondi de 10% face au dollar, cependant quele taux d’emprunt à dix ans s’effondrait de 4 pts de %, traduisant une détente spectaculaire sur l’obligation souveraine de l’Argentine, qui reste notée CCC, soit à « risque de défaut substantiel ». Ce que les investisseurs saluent, c’est la consolidation du pouvoir du président libertarien et le signal de stabilité politique envoyé par ce scrutin qui va lui permettre de changer de phase dans l’application de sa thérapie de choc.
Quelles réformes va poursuivre Javier Milei ?
Que les marchés s’enthousiasment ne doit pas occulter le fait que les défis demeurent considérables et l’Argentine entre à présent dans une phase foncièrement décisive pour qui veut la « rendre grande à nouveau ».
D’abord au plan monétaire : Milei entend terrasser l’inflation en obtenant la levée complète du « Cepo », le double contrôle des changes et des capitaux imposé par la Banque Centrale d’Argentine (BCRA), responsable de la surévaluation chronique du peso et de la nécessité de le dévaluer à intervalles réguliers. A cet égard, l’aide de Trump permettra de constituer d’importantes réserves de change pour stabiliser la devise argentine en cas de ruée vers le dollar. L’horizon de Milei, disciple de Hayek, reste cependant de raser purement et simplement la BCRA, à terme…
Mais il y a aussi l’amplification des réformes libertariennes : flexibilisationdu marché du travail pour encourager la concurrence et l’investissement via une baisse des charges patronales, simplification administrative pour faciliter l'enregistrement et le développement des entreprises, ou encore cession (ou concession) des entreprises publiques déficitaires. Du Portugal à l’Italie, en passant par l’Espagne, toutes les remontadas ont suivi le même chemin : baisse nette des dépenses publiques et allègement des prélèvements obligatoires. Puissent nos parlementaires savoir lire cette leçon d’histoire !
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