À l’aube de ce jeudi, la nouvelle s’est répandue à travers le monde : des médiateurs égyptiens, qataris et turcs — sous patronage américain — sont parvenus à un accord entre Israël et le mouvement « Hamas » pour appliquer la première clause du plan de paix au Moyen-Orient du président américain Donald Trump. Cet accord prévoit la fin de la guerre à Gaza et la libération des otages israéliens, en échange de la libération par Israël de plusieurs prisonniers palestiniens condamnés à la perpétuité.
L’annonce, venue de la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, a suscité une vague d’optimisme prudent dans la région — y compris au Liban, où les populations ont vécu pendant des années entre le marteau de « l’Axe de la résistance » et l’enclume de « l’Unité des fronts ». Les premiers signes du sérieux américain semblent cette fois se manifester dans l’intention du président Trump de se rendre personnellement au Moyen-Orient pour la cérémonie de signature.
Un Moyen-Orient transformé
Entre l’éclatement de la guerre le 7 octobre 2023 et le relatif silence qui a suivi deux ans plus tard, le visage du Moyen-Orient s’est métamorphosé plus profondément que durant des décennies de conflits successifs.
Il y a deux ans, le Hamas lançait son opération baptisée « Déluge d’al-Aqsa », bientôt suivie par l’entrée en guerre du « Hezbollah » dans ce qu’il appelait la « Guerre de soutien ». De là est née progressivement l’idée de « l’Unité des fronts » — un parapluie militaire soutenu par l’Iran, reliant Gaza, le Liban, le Yémen, l’Irak et même l’Iran lui-même.
Mais ce qui avait commencé comme un « déluge » s’est rapidement révélé être un séisme intérieur ébranlant les fondements mêmes de l’axe iranien. La guerre a laissé derrière elle des ruines immenses à Gaza et dans le Sud-Liban, décimé la majorité des cadres dirigeants du Hamas et du « Hezbollah », et s’est soldée par la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie.
Ce qui apparaissait comme étant un mot d’ordre — « une nouvelle phase du conflit » — s’est vite désintégré sur le terrain. La coordination entre les différents acteurs de l’axe s’est révélée fragile et incohérente. Les guerres simultanées au Liban, au Yémen, à Gaza et en Iran n’ont pas engendré la « force de dissuasion » escomptée. Elles ont, au contraire, mis en lumière la vulnérabilité propre à chaque front, chacun menant sa propre bataille au lieu de celle d’un camp unifié.
Israël, saisissant l’occasion, a élargi le champ de ses opérations, passant de Gaza au Sud-Liban avant de frapper en profondeur au Yémen et en Iran, dans ce qu’elle a qualifié d’« opérations chirurgicales ». Pendant ce temps, le discours du camp de la « résistance » s’est noyé dans les slogans, comme si les mots pouvaient remplacer les faits — ou reconstruire ce que les obus avaient détruit.
Un lapsus qui a brisé le narratif
Si les armes testent la force, les mots testent la légitimité. Rien n’a mieux illustré cette vérité que le « lapsus » du porte-parole militaire du Hamas, Abou Obeida, lorsqu’il déclara, aux premiers jours du conflit, que le mouvement exécuterait les otages israéliens si les attaques sur Gaza ne cessaient pas.
Cette seule phrase, dépouillée de toute rhétorique, a suffi à démolir des décennies de posture morale. En une nuit, le « combattant » est devenu geôlier d’enfants et de civils ; le « déluge » s’est transformé en effondrement moral documenté par le son et l’image. Le monde a vu, de manière irréfutable, la ligne où la « résistance » peut basculer dans l’atrocité.
L’expérience a démontré que « l’Unité des fronts » n’était qu’une unité de slogans, non de décisions. Chaque front a combattu pour sa propre survie : le Hamas pour préserver son pouvoir à Gaza, le « Hezbollah » pour justifier sa légitimité par les armes, les Houthis du Yémen pour obtenir une reconnaissance internationale, et l’Iran pour orchestrer l’ensemble — tout en s’épuisant sur plusieurs théâtres à la fois.
Finalement, aucun gain politique n’a pu justifier l’ampleur des pertes humaines et matérielles. Reconnaître la défaite, dans ce contexte, n’est pas une trahison mais une sagesse. La nier au nom de la « résistance » est, en revanche, une véritable ignominie.
Un plan de paix entre réalisme et légitimité
Dans ce contexte, la nouvelle initiative de paix de l’administration Trump vise à instaurer un cessez-le-feu de longue durée à Gaza, accompagné d’un retrait partiel des forces israéliennes et d’une supervision internationale et arabe de la gestion du territoire.
C’est ce qui explique l’arrivée des envoyés américains Steve Witkoff et Jared Kushner à Charm el-Cheikh mercredi, pour participer aux discussions réunissant des responsables de Washington, Tel-Aviv, Le Caire, Doha et Ankara. Les pourparlers visent à mettre en œuvre un plan de reconstruction progressive, lié à des garanties sécuritaires empêchant le retour du Hamas en tant qu’acteur armé.
Le Liban et l’art de l’arrondi des angles
Il reste à savoir si l’accord de Charm el-Cheikh tiendra ou s’effondrera comme les précédents. Une chose, pourtant, est sûre : la région ne peut plus supporter le poids des slogans creux ni des ivresses idéologiques. « L’Unité des fronts » s’est effondrée moralement avant de s’effondrer militairement — emportant avec elle l’idée que « le sang seul forge la gloire ».
Pour le Liban, la leçon est écrite dans le feu et la cendre : les guerres qui dévorent les nations ne peuvent être qualifiées de « fronts de résistance ». Elles sont un recul face à l’humanité elle-même. La véritable paix — celle qui redéfinit les nations — commence par la reconnaissance de la défaite morale, car c’est seulement à ce prix que la défaite militaire peut, elle aussi, prendre un sens.
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