Les responsables libanais affirment publiquement, « jour et nuit », qu’un accord avec le Fonds monétaire international est indispensable pour sortir de l’effondrement. Ils disent une chose en public, et font exactement l’inverse dans les coulisses. Ce comportement, qui bloque toute solution depuis six ans, n’a que deux explications : soit l’incapacité à assumer les conséquences du rejet des propositions du Fonds, soit l’existence d’un intérêt, quelque part, à continuer de diluer et retarder les solutions. Dans les deux cas, « le meilleur des deux choix est amer ». Le résultat se résume à la poursuite de la fonte des dépôts, à une distribution au compte-gouttes des droits via les circulaires 158 et 166, et à l’incapacité de relancer la croissance ou la reprise économique.
En résumé, et sans « tourner autour du pot », le FMI refuse que l’État et la Banque du Liban supportent seuls la facture de l’effondrement. Sur la base d’une « hiérarchie des responsabilités et des pertes », le Fonds insiste pour que les banques épuisent leurs capitaux et leurs actifs afin de restituer le maximum possible des dépôts des épargnants, estimés à environ 87,3 milliards de dollars à fin septembre, selon le rapport mensuel de l’Association des banques.
À l’inverse, le capital des banques est passé d’environ 20 milliards de dollars en 2019 à 4,6 milliards aujourd’hui. Même en ajoutant à ce capital l’ensemble des actifs des banques – biens immobiliers, propriétés foncières, actifs mobiliers et immobiliers –, le total ne dépasse pas 10 milliards de dollars, soit à peine 12 % des droits des déposants. Cela signifie qu’un haircut sur les dépôts atteindrait près de 90 %, entraînant la fermeture de la quasi-totalité des banques.
Le plan de la Banque du Liban
Sur les 87,3 milliards de dollars de dépôts en devises, les banques ont placé 78,8 milliards auprès de la Banque du Liban, en livres et en devises, jusqu’à fin septembre, selon l’Association des banques. Les banques réclament la restitution de ces fonds, que la BdL a utilisés pour financer l’État, stabiliser le taux de change, mener des opérations d’ingénierie financière, et d’autres interventions. En récupérant cet argent, les banques pourraient rembourser les déposants. La Banque du Liban soutient cette approche et a déjà défini les grandes lignes de son plan, qui repose sur les points suivants :
– Réduire l’écart financier de près de 80 milliards de dollars à entre 50 et 53 milliards, en annulant les intérêts excessifs, en éliminant les fonds d’origine douteuse et les dépôts convertis de livres en dollars après l’effondrement.
– Rembourser 21 milliards de dollars sur une période de trois à cinq ans, en donnant la priorité aux petits déposants.
– Convertir entre 30 et 32 milliards de dollars en actions et en obligations.
Dans ce plan, l’État ne couvrirait que 8,8 milliards de dollars, soit la moitié des 16,5 milliards qu’il doit à la Banque du Liban. Les banques assumeraient 3,88 milliards de dollars, et la BdL couvrirait le reste.
La proposition de la Banque du Liban s’appuie sur deux éléments essentiels :
Premièrement, un fondement légal et de principe : la reconnaissance de sa dette envers le secteur bancaire et l’obligation de la rembourser conformément à l’article 13 du Code de la monnaie et du crédit, et l’obligation pour l’État de couvrir les pertes de la BdL selon l’article 113.
Deuxièmement, un élément comptable : selon son dernier bilan bimensuel publié en octobre, la BdL détient 11,9 milliards de dollars de réserves en devises, environ 36,9 milliards de dollars en or, et près de 5 milliards en actifs divers (entreprises, immobilier).
Au total, les actifs du secteur bancaire central s’élèvent à 53,8 milliards de dollars – un montant supérieur à ses engagements, estimés entre 50 et 53 milliards dans le pire scénario. Théoriquement, il pourrait donc couvrir les pertes et restituer les fonds aux banques.
La vérité amère
Si la solution du FMI ne restitue qu’environ 10 % des dépôts, celle de la BDL revient pratiquement au même. La Banque du Liban ne peut pas liquider ses réserves d’or, qui sont protégées par la loi 42 de 1986. Même si une nouvelle loi venait à autoriser leur vente, la réalité demeure plus complexe : environ un tiers de l’or du Liban est conservé aux États-Unis, dans la forteresse de Fort Knox, et nul ne sait réellement s’il est possible de le récupérer ou de l’utiliser avec la facilité que certains évoquent. Dans ce cas, la valeur exploitable de l’or chuterait à 24 milliards de dollars contre 37 milliards aujourd’hui. Sans oublier les divergences profondes entre élus et responsables libanais quant à l’utilisation de l’or, considéré comme une richesse nationale appartenant à tous les Libanais, et qu’il ne saurait être réservé à une catégorie, en l’occurrence les déposants.
Quant aux 5 milliards de dollars d’actifs et de filiales de la BDL, leur liquidation est loin d’être simple. Et pour ce qui est de la dette de l’État, son remboursement relève presque de l’impossible compte tenu de l’ampleur de ses obligations.
En définitive, les deux « solutions » mènent à une impasse, avec une différence majeure : la proposition du FMI implique une restructuration en profondeur du secteur financier et bancaire, et un nouveau départ sur des bases solides, alors que les propositions locales se contentent de colmater un édifice déjà en ruine.
Face à cette contradiction, et en l’absence de toute décision possible avant les élections législatives, il apparaît que rien ne changera, au mieux. Une seule conclusion s’impose : la poursuite de la fonte des dépôts, passés d’environ 176,4 milliards de dollars en janvier 2019 à 87,7 milliards fin octobre 2025, selon le rapport mensuel de l’Association des banques.
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