Europe : «La rigueur portugaise impressionne la Zone Euro »
Quand le Portugal donne des leçons budgétaire et financière à la France. Après l’Espagne et l’Italie, le Portugal redresse ses comptes ! Plongée au cœur du spectaculaire redressement lusitanien analysé par Pascal de Lima, Chef économiste de Novaminds.
Pour la deuxième année consécutive, le Portugal affiche un excédent budgétaire ! Quelles sont les dernières données financières ? Comment explique-t-on ce remarquable résultat ?
C’est assez simple : cela se résume en un mot : l’excédent. Pour la deuxième année consécutive, le solde est positif, un fait rare dans la zone euro. Et cela n’a rien d’un hasard : c’est le fruit d’une gouvernance rigoureuse et d’une innovation budgétaire assumée, reposant sur trois leviers : une croissance réelle supérieure à la moyenne européenne, une discipline dans la dépense publique avec des trajectoires pluriannuelles crédibles, et une fiscalité modernisée qui valorise les moteurs de création de valeur : les services, le tourisme et les exportations.
Mais surtout, le Portugal a fait de la gestion des fonds européens un véritable instrument d’innovation publique. Le pays ne se contente pas d’absorber les subventions : il les oriente vers des projets tangibles, mesurables et productifs, dans l’énergie, le transport, la santé et le numérique. Il y a intégration du principe d’efficacité de la dépense publique. Les politiques sont pilotées par la donnée et par la mesure du retour sur investissement.
Depuis la crise de la dette des années 2010, le Portugal a changé de statut financier dans la zone euro. Le pays est passé du statut d’une nation sous assistance financière internationale à celui d’un quasi modèle de rigueur budgétaire et de croissance ! Que s’est-il passé en quinze ans ?
C’est l’époque de la Troïka qui symbolisait la dépendance, la contrainte et la perte de souveraineté. Quinze ans plus tard, le Portugal est devenu un modèle d’évolution comptable, culturelle et structurelle.
Au lieu de rejeter la rigueur imposée par Bruxelles, Lisbonne en a fait un cadre d’apprentissage, un moteur de transformation interne. L’administration publique a été profondément réformée ; les services ont été numérisés ; les fonds européens, réorientés vers des projets à effet multiplicateur sur la productivité. Le pays a fait de la rigueur une école d’efficacité, et de la discipline un levier d’innovation. En un mot, là où Paris discute, Lisbonne exécute. Et l’innovation, ici, c’est précisément l’art d’exécuter.
Le ratio dette/PIB, qui dépassait 130 % il y a dix ans, se situera à 92 % en fin d’année. Cette trajectoire financière a amélioré la signature de l’État portugais auprès des agences de notation.
Oui ! Une descente de près de quarante points, non par miracle, mais par constance. Maintien d’excédents primaires, croissance nominale soutenue et surtout cohérence : les dépenses publiques sont orientées vers des investissements à rendement social et économique.
La région de Porto en est un symbole fort. Autour d’elle, un écosystème de start-up s’est développé : Defined.ai, spécialisée dans l’intelligence artificielle et l’annotation de données ; Sword Health, qui révolutionne la rééducation médicale à distance ; ou encore Feedzai, devenue une licorne dans la détection des fraudes financières. Ces réussites ont amélioré la crédibilité financière du pays.
Socialement, grâce à ce retour à des finances publiques plus saines, Lisbonne a augmenté le salaire minimum, le niveau des pensions en baissant les impôts ? Quel est ce miracle ?
Le « miracle portugais » est celui d’une redistribution rendue possible par la discipline. Longtemps, le pays a souffert d’un creusement des inégalités : la classe moyenne, prise en étau entre une fiscalité lourde et la flambée des prix immobiliers due aux investisseurs étrangers, s’était appauvrie. Mais depuis deux ans, la situation change. Parce que les comptes sont assainis, le gouvernement peut enfin récompenser le travail. Le salaire minimum atteindra 870 € en 2025, les pensions ont été revalorisées, et les impôts allégés pour les jeunes actifs. Ces mesures ne sont pas financées par l’endettement, mais par la croissance réelle et la maîtrise des dépenses..
Lisbonne et Porto sont également devenues des hubs pour start-up européens, à la pointe de l’IA, en attirant aussi de l’investissement étranger…
Le dynamisme de Lisbonne et de Porto repose sur une stratégie d’attractivité technologique intelligente : fiscalité favorable, qualité de vie, coûts modérés, politique d’ouverture aux talents, et surtout une connexion fluide entre universités, incubateurs et entreprises.
Ces villes ont compris que l’innovation n’est pas qu’une affaire de technologie, mais d’écosystème.
Il y a le programme «Startup Portugal » qui fait des merveilles !
Absolument ! L’Etat a soutenu la création de pôles d’innovation à travers le programme Startup Portugal, tandis que le Web Summit a fait de Lisbonne la capitale européenne de la tech. Des licornes comme OutSystems (plateforme low-code), Talkdesk (centres d’appel dans le cloud) et Feedzai (IA anti-fraude) symbolisent cette réussite.
Les investissements étrangers affluent, notamment dans l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables et la deeptech.
Revers de la médaille ? On parle beaucoup de la dépendance de l’économie portugaise aux fonds européens… Il y a aussi la précarité des jeunes confrontés au chômage ?
Oui, tout succès a son revers. Le Portugal dépend encore largement des fonds européens, qui représentent près de 22 milliards d’euros, soit une part considérable de l’investissement public. La grande question est désormais : saura-t-il transformer cette dépendance en autonomie productive ?
Pour le chômage des jeunes ?
Il reste élevé, autour de 18 à 20 %. Le dynamisme technologique profite surtout aux diplômés du supérieur, laissant de côté une partie de la jeunesse sans qualification. Les prix de l’immobilier, notamment à Lisbonne et Porto, continuent d’exclure une génération du logement urbain.
La fragilité demeure. Sans industrie intermédiaire et sans politique industrielle forte, la prospérité portugaise reste exposée aux cycles européens. L’enjeu des prochaines années sera de consolider la réussite numérique dans une véritable autonomie productive et sociale.
économiste Pascal de Lima
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