Trois scènes récentes du paysage politique américain.
Scène un : La grande majorité des médias américains, traditionnels et modernes, a refusé de signer un engagement réclamé par le ministre de la Guerre Pete Hegseth, de ne publier aucune nouvelle concernant le Département sans son approbation préalable. Les journalistes accrédités ont quitté leurs bureaux au sein du Département, affirmant qu'ils couvriraient l'actualité de l'extérieur, comme l'exige la profession, et non comme le souhaite le ministre.
Scène deux : Six sur huit universités prestigieuses et renommées aux États-Unis ont refusé de se conformer aux conditions, décrites comme strictes et conservatrices, envoyées par la Maison Blanche en échange du financement de leurs programmes de recherche. Les responsables universitaires ont unanimement rejeté toute restriction de la liberté et de l'autonomie académiques.
Scène trois : L'ancien directeur du FBI James Comey, accusé par un grand jury de deux chefs d'inculpation pour induction en erreur du Congrès et d'obstruction à la justice, a demandé à la cour de classer l'affaire, la qualifiant de mesure de représailles.
Ces trois scènes sont récentes et ne sont qu'un infime exemple de ce que vivent les Américains depuis le début du second mandat présidentiel de Trump, consacré par ce dernier a régler ses comptes avec ses adversaires politiques. Ces trois scènes soulèvent des questions embarrassantes sur l'état de la démocratie aux États-Unis.
Ceux qui posent ces questions - et qui en connaissent les réponses - affirment que l'état de la démocratie américaine aujourd'hui reflète un défi profond et persistant pour ses mécanismes et ses institutions. Avant l'élection de Trump en 2016, les États-Unis faisaient déjà face à des problèmes décrits comme les symptômes d'une « démocratie malade », représentés par la polarisation croissante et les inégalités structurelles au sein des activités démocratiques. La présidence de Trump, et particulièrement son style d'exercice du pouvoir - personnalisation et culture de la transaction - est venue intensifier ces défis en sapant les institutions et mécanismes fondamentaux qui maintiennent la santé de la démocratie.
La démocratie américaine avant Trump
Avant l'élection de Trump en 2016, les États-Unis souffraient déjà de pressions démocratiques sérieuses. Ces pressions incluaient une polarisation politique croissante, le découpage électoral partisan des circonscriptions électorales, et l'érosion des droits des électeurs, des tendances qui s'accumulaient lentement au fil des années. Bien que ces problèmes indiquaient une faiblesse démocratique, les structures institutionnelles de base, telles que les garanties des droits, les contre-pouvoirs, l'État de droit, et l'intégrité des élections, restaient largement intactes. Le système fonctionnait encore selon des standards convenus et un cadre démocratique large, bien que souffrant de tensions et nécessitant des réformes.
La démocratie pendant les années Trump
Le premier mandat de Trump et son retour à la présidence en 2025 ont été marqués par des efforts concentrés pour consolider le pouvoir décisionnel au sein de l'exécutif et marginaliser le Congrès, l'utilisant au profit de la présidence au détriment de la responsabilité démocratique traditionnelle. Son administration a systématiquement sapé l'indépendance et l'efficacité des institutions qui protègent la démocratie. Les mesures ont inclus l'affaiblissement des protections électorales, l'imposition de lois restrictives sur le vote, l'ingérence dans l'administration des élections au niveau des États, et la dissolution d'unités de surveillance clés comme le « Groupe de travail pour la surveillance de l'influence étrangère » qui protégeait les élections des ingérences extérieures, ainsi que le contrôle du judiciaire par la nomination de juges conservateurs adhérant à son programme et dont il attendait une loyauté personelle.
De plus, la description publique par Trump de ses opposants politiques comme des « ennemis » a créé un climat de peur et de division sans précédent dans la politique américaine contemporaine. Il en va de même pour ses attaques répétées contre le judiciaire, le législatif et la presse, qui ont affaibli les garanties institutionnelles conçues pour limiter le pouvoir exécutif et assurer la responsabilité.
Cette stratégie intégrée, surnommée « l'expansion du pouvoir exécutif », a infligé des dommages sévères aux cadres juridiques et politiques nécessaires à la gouvernance démocratique. Les nominations judiciaires de Trump - des nominations à vie de trois juges de la Cour Suprême et des juges fédéraux - et les agendas législatifs conservateurs, ainsi que ses tentatives de contrôle des gouvernements des États, ont affaibli les cadres permettant de tenir la présidence pour responsable, conduisant à la restriction des formes de responsabilité politique venant de la base populaire.
Les tentatives de réforme de Biden
L'administration Biden, qui a débuté en 2021, a hérité d'une démocratie fragile confrontée à des défis sévères. Biden a cherché à rétablir les standards démocratiques et à renforcer l'intégrité électorale par des mesures législatives et administratives. Les efforts ont inclus le soutien à des législations sur les droits de vote comme la loi « For the People Act » et la loi « John R. Lewis Voting Rights Advancement Act », bien que cette législation ait rencontré une opposition farouche et ait été bloquée au Sénat. Cependant, la fracture politique persistante et profonde et la polarisation partisane aiguë qui l'accompagne ont limité la portée des réformes.
La démocratie résistera-t-elle ?
Malgré toutes ces difficultés, le système démocratique américain montre un degré significatif de résilience et d'adaptabilité pour un certain nombre de raisons, notamment le fait que le système constitutionnel conserve plusieurs garanties institutionnelles et une structure fédérale qui disperse la concentration du pouvoir en un seul pôle. La société civile, les médias et les gouvernements des États continuent de jouer un rôle crucial dans la surveillance du pouvoir et la responsabilité. De plus, on constate une prise de conscience publique et une mobilisation croissante concernant les droits des électeurs et les standards démocratiques.
Un avantage de la résilience de la démocratie aux États-Unis est qu'elle pourrait potentiellement renforcer les garanties des droits et la responsabilité si la participation électorale augmente et si les deux partis concurrents mènent des réformes substantielles conduisant à desserrer l'étau sur le judiciaire.
Si la polarisation persiste, la paralysie partisane continue et le rythme des réformes ralentit, une désintégration sociale peut survenir, laissant la démocratie divisée avec une paralysie institutionnelle persistante.
Il y a aussi la possibilité que la dérive autoritaire initiée par Trump lors de son premier mandat et qui s'ancre maintenant dans son second devienne permanente. Le résultat de ce scénario serait la poursuite de l'expansion du pouvoir exécutif et la remise en cause de l'État de droit, des élections libres et des libertés civiles.
Aujourd'hui, la démocratie américaine se trouve à la croisée des chemins, où elle doit concilier ses divisions profondes et sa faiblesse institutionnelle avec les exigences d'une gouvernance responsable et inclusive. Sa survie dépendra largement de la capacité des acteurs politiques, des institutions et du public à maintenir les standards démocratiques et à résister aux tentatives de saper les garanties fondamentales.
Les trois prochaines années constitueront-elles un carrefour pour des surprises majeures concernant la situation intérieure américaine et le rôle des États-Unis dans le monde ?
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