Il existe un lien profond entre l’économie libanaise et le mot arabe familier « meshi » (qui signifie « ça va », « ça continue » ou « ça tient bon »). Le défunt Premier ministre Rafic Hariri utilisait souvent l’expression « el balad meshi » (« le pays avance ») pour indiquer que les choses progressaient malgré les obstacles. Aujourd’hui, lorsqu’on interroge les responsables sur la situation générale, la réponse la plus fréquente reste « meshi el-hal » — une façon polie de dire que tout est à peine sous contrôle, loin d’être idéal. Peut-être la meilleure synthèse du paradoxe économique libanais se trouve-t-elle dans le refrain de la chanson de Ziad Rahbani « Bhalioumein » (années 1980) : « Étrange que ça continue… et le film se poursuit, on le comprend, on le voit — sans écran. »
Il y a quelques jours, la Banque du Liban (BDL) a publié sa revue macroéconomique pour le premier semestre 2025, offrant une évaluation complète de la trajectoire économique du pays. Ce qui retient le plus l’attention dans ce rapport, c’est l’état du solde des paiements et du commerce extérieur, comparé à la croissance et à l’inflation : un tableau marqué par de profondes contradictions.
Hausse du déficit commercial
Selon les chiffres, le déficit commercial du Liban a augmenté d’environ 10 % au cours des huit premiers mois de l’année, atteignant près de 10,57 milliards de dollars. Cet élargissement du fossé s’explique par une hausse des importations — environ 12,94 milliards de dollars — face à des exportations limitées à 2,37 milliards. Quelle qu’en soit la cause, le constat demeure le même : la croissance reste tirée par la consommation plutôt que par la production, soutenue par des flux de liquidités à court terme et des facteurs positifs temporaires, au lieu d’améliorations structurelles.
Le rapport précise que cette liquidité provient de plusieurs sources principales :
- Les transferts des expatriés, estimés à environ 6,8 milliards de dollars, un montant qui pourrait plus que doubler si l’on tenait compte des envois non officiels.
- Les retraits en espèces en dollars américains, autorisés par les circulaires 158 et 166 de la BDL, qui ont relevé fin 2024 les plafonds mensuels de retrait exceptionnel à 800 et 400 dollars respectivement.
- Les dépenses issues de l’épargne personnelle, encouragées par un espoir persistant de réformes et de stabilisation politique.
Malgré cette demande portée par la consommation, le niveau des investissements directs demeure faible, reflétant la fragilité structurelle et le retard dans la mise en œuvre des réformes. Et bien que le taux de change se soit stabilisé autour de 89 500 livres libanaises pour un dollar — dans un contexte de dollarisation quasi totale des prix —, l’inflation reste obstinément élevée : 15 % pour l’inflation globale et 16,4 % pour l’inflation sous-jacente.
La nature de l’inflation inquiète
Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que l’inflation globale — généralement influencée par des facteurs temporaires tels que les prix de l’énergie ou de l’alimentation — est désormais inférieure à l’inflation sous-jacente, qui reflète les pressions structurelles et la stabilité des prix à long terme. Bien que cette dernière ait reculé par rapport aux niveaux d’avant 2023, elle dépasse encore l’inflation globale, portée par les ajustements salariaux liés au nouveau taux de change et la hausse des prix dans les secteurs non échangeables, comme l’éducation. La persistance d’une inflation sous-jacente élevée indique que l’inflation intérieure demeure non résolue ; sans réformes structurelles profondes, elle restera élevée même si les pressions extérieures s’atténuent.
Un excédent trompeur dans la balance des paiements
Sur le papier, le solde des paiements affiche un excédent d’environ 8,92 milliards de dollars au cours des sept premiers mois de 2025, contre 6,5 milliards en 2024. À première vue, cela pourrait sembler positif, mais cet excédent provient en grande partie d’une revalorisation des réserves d’or de la BDL dans le compte du capital, plutôt que d’une amélioration réelle de l’économie. Le compte courant, grevé par l’énorme déficit commercial, reste quant à lui lourdement déficitaire.
Vers un déclin des transferts de la diaspora
Ce qui paraît encourageant dans les chiffres macroéconomiques de 2025 pourrait se renverser en l’absence de réformes. Selon Rabih El-Amin, président du Lebanese Executives Council, les transferts des expatriés — véritable bouée de sauvetage de l’économie libanaise — devraient reculer en 2026. Il avertit que, face à la réduction des budgets et à la compression salariale attendues dans plusieurs pays arabes et occidentaux, les revenus des Libanais de l’étranger diminueront, entraînant une baisse de ces flux financiers vitaux.
Une économie qui « tient bon »… mais étrangement
À la lumière de tous ces éléments, les déséquilibres structurels qui dominent l’économie libanaise depuis des années restent inchangés. Le pays est toujours meshi — il continue d’avancer — mais, comme le chantait Rahbani il y a des décennies, « d’une manière bien étrange ».
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