Pour les habitants de la montagne, le célèbre refrain de Fayrouz « Ce n’était pas censé être ainsi » vient spontanément lorsqu’on les interroge sur la saison des olives. Leur réponse est immédiate : « L’huile d’olive, c’était autre chose. » Et dans ce contexte, le verbe « c’était » prend tout son sens : il élève la nostalgie d’un temps où l’olive avait un goût et une signification uniques, et il souligne la réalité actuelle déformée par la baisse de la production, l’augmentation des coûts et l’effacement progressif de la beauté et de la symbolique de l’olivier dans la culture levantine en général, et libanaise en particulier.
Une saison sous pression
Comme pour d’autres produits agricoles, la saison oléicole de cette année s’est ouverte sur trois difficultés majeures :
- La baisse des récoltes — des fruits plus petits et desséchés en raison des changements climatiques et d’un automne irrégulier.
- Des coûts élevés — hausse des dépenses liées à la main-d’œuvre et au pressage.
- Des difficultés d’écoulement — l’huile libanaise subit une concurrence féroce et injustifiée des huiles de contrebande de mauvaise qualité.
La parole aux agriculteurs
Un producteur résume: si le premier problème échappe à tout contrôle, les deux autres sont de notre responsabilité. Selon lui, la main-d’œuvre syrienne, qui représente désormais près de 90 % des récoltants, fixe ses prix : entre 25 et 30 dollars pour les cueilleurs, et 20 dollars pour les ramasseurs, sans possibilité de discuter. Autrefois, la récolte était une fête familiale où parents, enfants et proches travaillaient ensemble, apportant leur production au pressoir du village qui acceptait d’être payé en huile. Aujourd’hui, les pressoirs exigent un paiement en argent. Parallèlement, le désordre du marché et la spéculation de grands commerçants protégés par des responsables politiques empêchent les agriculteurs d’écouler leur production.
« Ces deux problèmes ne sont-ils pas de notre propre création ? » lance-t-il.
Le secteur en chiffres
Le Liban compte environ 20 millions d’oliviers, produisant près de 500 000 tonnes d’olives par an. La majorité est transformée en moyenne en 75 000 tonnes d’huile d’olive — un volume largement supérieur aux besoins de la consommation locale. Longtemps produit d’exportation lucratif, l’or vert libanais est désormais menacé par la contrebande et la fraude. De fausses huiles vendues comme extra vierge, envahissent le marché, à des prix 60 % inférieurs au véritable produit. Quant aux débouchés extérieurs, ils se sont fermés aux producteurs libanais. Même les grandes institutions nationales, jadis acheteuses massives, ont vu leurs budgets s’effondrer avec la crise financière.
Encadrer les salaires
Pour contrer l’exploitation par des intermédiaires et limiter la fraude, la coalition des producteurs d’olives du nord du Liban a instauré de nouvelles règles :
- 10 dollars pour les cueilleurs,
- 8 dollars pour les ramasseurs,
- une journée de travail limitée à sept heures effectives, calculées à partir de l’entrée dans l’oliveraie.
Le ramassage au sol a été interdit, tout comme l’accès aux vergers sans la présence de leurs propriétaires. Les municipalités sont invitées à appliquer ces tarifs, avec l’appui de la police locale et des gardes pour protéger les oliveraies contre les vols et intrusions. Les producteurs sont aussi encouragés à attendre la pleine maturité avant de récolter.
Un appel à la protection
Les agriculteurs demandent en outre que leurs vergers soient protégés contre le vol et le surpâturage, appelant l’armée à sécuriser la saison face aux bandes de voleurs et aux troupeaux errants qui ravagent les champs.
Des prix équitables malgré tout
Malgré une récolte limitée cette année, les stocks cumulés suffisent à couvrir le double de la consommation nationale, affirme Georges Constantin Al-Aynati, fondateur du Comité national pour la protection de l’huile d’olive libanaise. Il n’y a donc aucune raison d’importer olives ou huile, martèle-t-il, qualifiant les licences d’importation de « coup de poignard mortel dans le dos du secteur ».
Le danger principal, selon lui, réside dans les huiles de contrebande contenant des substances chimiques nocives, fabriquées notamment à partir de résidus de noisettes turques. Il rejette toute hausse des prix, rappelant qu’une tannaké (bidon de 16 litres) d’huile vierge ou vierge extra libanaise se vend environ 130 dollars, avec un léger supplément pour les huiles biologiques ou haut de gamme. L’essentiel, selon lui, est d’empêcher la spéculation des commerçants et le surpâturage, qui menacent directement la sécurité agricole du pays.
Au-delà de la nostalgie
Si la chanson de Fayrouz évoque un passé révolu, relancer le secteur de l’olive n’a rien d’une simple nostalgie. C’est une nécessité économique. Développer ce secteur, augmenter le nombre d’arbres, moderniser les techniques de pressage, de mise en bouteille et de conditionnement, et ouvrir de nouveaux marchés d’exportation transformerait l’huile d’olive en pilier de la relance libanaise, créant des dizaines de milliers d’emplois et redonnant à l’olive sa place unique dans l’identité culturelle et économique du pays.
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