Depuis que le président Joseph Aoun a déclaré la semaine dernière qu’« il est nécessaire d’engager des négociations avec Israël pour régler les questions en suspens », il semble que l’État libanais soit entré dans une nouvelle phase dans son approche de la souveraineté et du fonctionnement institutionnel — en particulier concernant la présidence, considérée comme le chef du pouvoir exécutif et la garante de l’unité nationale ainsi que de l’intégrité territoriale, conformément à l’article 49 de la Constitution.
Ce que le président Aoun a déclaré ne relève pas d’une simple interprétation politique ; cela s’appuie sur des prérogatives constitutionnelles claires qui l’autorisent, en coordination avec le Premier ministre Nawaf Salam, à définir l’orientation générale de l’État en matière de souveraineté et de relations extérieures, tant que le Conseil des ministres réuni représente toutes les forces libanaises, quelles que soient leurs appartenances politiques ou partisanes, y compris le « Hezbollah » et le mouvement « Amal ».
L’objection anticonstitutionnelle
Cependant, cette position présidentielle marquante n’a pas échappé à la contestation du président du Parlement Nabih Berri, qui a déclaré lundi que « les négociations avec Israël ont pris fin en raison du non-respect par Tel-Aviv du cadre américain ». En réalité, bien que cette déclaration puisse sembler purement politique, elle dissimule un problème constitutionnel plus profond lié aux limites du rôle législatif dans le système parlementaire libanais d’après Taëf. Le Parlement, présidé par Berri, est une autorité législative dont la mission est de contrôler l’action du gouvernement et de voter ses projets, non de se substituer à lui dans la conduite de la politique étrangère ou dans la prise de position au nom de l’État.
Le retour de la présidence à son essence exécutive
Une relecture des pouvoirs présidentiels avant et après l’accord de Taëf montre que la Constitution libanaise — même dans sa version amendée de 1990 — n’a pas aboli le rôle exécutif du président de la République, mais l’a organisé dans un cadre de partage avec le Conseil des ministres. Selon l’article 52, le président « conduit les négociations pour la conclusion des traités internationaux et les ratifie en accord avec le Premier ministre ». Cela signifie que les négociations avec Israël sur la démarcation des frontières terrestres — après la délimitation maritime achevée en 2022 — relèvent pleinement des compétences de la présidence, et non du Parlement ni d’aucun parti politique.
Cette interprétation redonne vie à l’esprit de l’accord de Taëf, qui visait à transformer la présidence d’un pouvoir solitaire en une autorité fédératrice — et non à la vider de sa substance, comme ce fut le cas durant les périodes de tutelle palestinienne, syrienne et iranienne, qui avaient réduit la présidence à une simple façade symbolique face à l’expansion d’autres pouvoirs internes.
Entre Taëf et la reconquête de la souveraineté
L’expérience libanaise au cours des trois dernières décennies a démontré que la confusion des rôles entre les pouvoirs exécutif et législatif fut l’une des principales causes de la paralysie institutionnelle et de l’accumulation des crises. Au lieu d’agir comme arbitre entre les institutions, la présidence s’est retrouvée piégée dans un réseau de coutumes et de pratiques ayant vidé les articles de la Constitution de leur substance, qu’il s’agisse du mécanisme de formation des gouvernements ou de la définition des politiques de défense et étrangères.
Aujourd’hui, avec l’élection de Joseph Aoun à la présidence de la République au début de l’année 2025, et à la lumière de son discours d’investiture affirmant le monopole de l’État sur les armes et le respect de l’accord d’armistice signé avec Israël en 1949, le Liban semble emprunter une nouvelle voie visant à réconcilier le texte constitutionnel avec la pratique politique.
Des tutelles passées à la responsabilité institutionnelle
Il ne fait aucun doute que le Liban a longtemps été l’otage de multiples tutelles : palestinienne dans les années 1970, syrienne dans les années 1990, puis iranienne au cours des deux dernières décennies à travers l’arsenal du « Hezbollah ». Durant toutes ces périodes, la présidence a été marginalisée au profit d’une dualité « législativo-exécutive » qui s’est formée en dehors des cadres constitutionnels.
Cependant, la récente déclaration du président Aoun - soutenue par la déclaration ministérielle du gouvernement de Nawaf Salam — marque le début d’un nouveau chapitre sur la voie de la reconquête de la souveraineté institutionnelle. Elle redéfinit les frontières entre les prérogatives du pouvoir exécutif — à savoir la négociation au nom de l’État — et celles du pouvoir législatif, qui contrôle et rend des comptes, mais n’exécute pas.
Vers une République réconciliée avec sa Constitution
L’accord de Taëf de 1989 visait à mettre fin à la guerre civile au Liban par une redistribution des pouvoirs, et non par l’abolition du rôle central de la présidence. Cependant, la pratique des décennies suivantes a transformé cet accord en un outil renforçant le partage confessionnel du pouvoir, au lieu de consolider l’État des institutions.
Sous ce parapluie percé, des guerres successives ont été menées sur le sol libanais, et des interventions militaires étrangères ont été lancées à partir du Liban contre d’autres pays — sans que l’État officiel, dans son sens institutionnel, n’ait eu le moindre rôle dans ce qui s’est passé ou continue de se passer.
La « décision de guerre et de paix » a été confisquée des mains de l’État, tandis que la politique de « distanciation » s’est transformée en une politique d’« implication » dans les crises régionales — que ce soit lors du soulèvement syrien en 2011 ou lors de la guerre de soutien à Gaza il y a deux ans.
Aujourd’hui, avec l’émergence d’un nouveau discours présidentiel appelant à l’application plutôt qu’à la violation de la Constitution, et avec un gouvernement représentant l’ensemble du tissu national libanais, le pays dispose d’une rare opportunité de se libérer du carcan des tutelles et de la paralysie.
La démarcation des frontières terrestres avec Israël n’est pas un simple dossier géographique, mais un test constitutionnel de la capacité de l’État libanais à réhabiliter ses institutions légitimes et à prouver que l’ère du mélange des pouvoirs entre les trois présidences est révolue.
Dans ce contexte, on peut affirmer que l’enjeu — local, régional et international — repose aujourd’hui sur la capacité du palais de Baabda à convaincre Aïn el-Tiné que le Sérail gouvernemental, agissant collectivement, constitue le pivot constitutionnel pour sortir le Liban de ses labyrinthes partisans, sous le regard de la place de Nejmeh, marquant ainsi le début de la reconstruction d’un Liban renouvelé dont ses citoyens — et le monde — ont besoin, sous la bannière des institutions, loin des surenchères et des dogmes.
Le président Joseph Aoun parviendra-t-il à remporter ce pari au profit des Libanais ?
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