Il arrive parfois que des phénomènes ou des comportements percent la scène politique — jugés par certains comme étranges ou hors de propos — mais ceux qui regardent plus en profondeur comprennent qu’ils en constituent l’essence même, non la surface.

Je n’oublierai jamais l’image de l’ancien ministre de l’Énergie, le docteur Walid Fayad — débordant de savoir, de compétence et d’une humilité authentique — le jour de l’élection présidentielle, le 9 janvier. Fayad s’est rendu seul au Parlement après être descendu de sa petite voiture Cooper, sans escorte ni accompagnateur. Il s’est arrêté un instant, contemplant le bâtiment du Parlement, puis a ouvert une boîte, en a pris une poignée et a commencé à manger — sous les yeux de tous.

Il mangeait du pop-corn, avec joie et appétit, comme en témoignaient ses expressions, agissant avec une spontanéité totale, indifférent à ce que les gens pouvaient penser. On aurait dit qu’il entrait dans une salle de cinéma — qu’il s’agisse d’un film américain, européen ou arabe — peu importait, du moment que le sachet de pop-corn et la bouteille d’eau complétaient le rituel du spectateur.

Beaucoup ont cru que Walid Fayad voulait se faire remarquer, agir différemment pour attirer l’attention — d’autant qu’il participait à la séance d’élection présidentielle en tant que ministre d’un gouvernement appelé à démissionner automatiquement dès qu’un président serait élu, réduisant ainsi son rôle à la gestion des affaires courantes d’un cabinet déjà intérimaire. Mais avaient-ils raison ? Bien sûr que non. Fayad avait parfaitement lu la conjoncture politique et compris que le pays se dirigeait vers une nouvelle tutelle, après les répercussions des guerres du « Déluge d’Al-Aqsa » et du « Soutien » dans la région. Il savait que ceux qui allaient gouverner le Liban disposeraient d’une marge de manœuvre extrêmement étroite — le plafond fixé pour eux étant très bas — et qu’ils ne pourraient que baisser la tête.

Dix mois après l’arrivée du nouveau gouvernement, quel est le résultat ?

En traversant les routes, on aperçoit des chantiers de goudronnage, des engins au milieu des voies publiques — autres que celles où Israël a commis son massacre à Al-Msayleh il y a quelques jours — et du bitume encore fumant sortant des barils. Une scène qui résume l’action d’un gouvernement n’ayant réussi qu’à procéder à des nominations partisanes, à adopter des mesures revanchardes, à élaborer des plans jamais exécutés (s’il en existe), à se réfugier dans des querelles politiques et dans l’inaction. Un flot de paroles qui ne compense pas la rareté des actes. En bref, rien qu’un rafistolage — sans même parler de la qualité du goudron, dont on espère seulement qu’il résistera à la première pluie.

Certains diront que je suis sévère envers le gouvernement. Non, c’est le gouvernement qui l’est envers lui-même. Voici quelques questions à lui poser : quel est son plan — en dehors des réunions folkloriques avec la partie syrienne — pour le retour des deux millions de réfugiés syriens dans leur pays ? Rien, sinon prolonger leur séjour au Liban en autorisant les étudiants syriens, quel que soit leur statut, même s’ils ne résident pas au Liban, à s’inscrire dans ses écoles et universités. Comme le dénoncent des voix d’opposition, cette mesure s’apparente à une intégration déguisée, équivalente à une naturalisation.

Et que fait le gouvernement face aux violations répétées par Israël de l’accord de cessez-le-feu, exposant chaque citoyen libanais aux frappes de son aviation ? Rien, sinon nous expliquer qu’il n’est pas nécessaire de condamner chaque attaque, puisqu’il l’a déjà fait une fois — épargnant ainsi à l’État la peine de se répéter.

Qu’en est-il de ses plans et projets dans les domaines des services publics, des affaires sociales et de l’environnement — de l’électricité et de l’eau potable à l’irrigation, en passant par le développement d’un réseau de télécommunications qui semble encore fonctionner à la « manivelle » ? (Je mets quiconque au défi de me dire qu’il a réussi à terminer un appel sans coupure, sans parler de la lenteur insupportable.) À cela s’ajoute la préservation de nos ressources pétrolières et gazières, après que des experts ont affirmé que le Conseil des ministres avait cédé hier des milliers de kilomètres carrés à Chypre dans l’accord qu’il a approuvé, en laissant planer des ambiguïtés sur l’attribution des concessions de forage dans le bloc 8.

Comment un gouvernement peut-il refuser d’appliquer la loi et même l’éluder, en renversant un acquis adopté à l’unanimité par tous les blocs parlementaires et les forces politiques en 2017 : le droit des Libanais de la diaspora de voter aux élections législatives et d’être représentés par des députés issus des six continents ? Ces sièges devaient s’ajouter aux 128 existants, avec l’objectif de réduire progressivement le nombre de sièges locaux et d’augmenter celui des représentants de la diaspora jusqu’à 12. Et pourtant, nous assistons à une fuite en avant flagrante devant une loi toujours en vigueur, tandis que des ministres rejettent la responsabilité sur le Parlement — l’un d’eux allant jusqu’à proposer un projet de loi pour abolir les six sièges de la diaspora.

Voici donc une question à poser à ce gouvernement qui se vante de victoires illusoires, ainsi qu’aux députés qui se considèrent comme les gagnants de la dernière bataille : qui a réellement le plus profité du vote des expatriés en 2022 ?

Ohé au gouvernement !! Rafistole les routes — l’hiver approche.

Quant à la dernière tendance étrange, c’est la fringale de pouvoir de certains activistes des réseaux sociaux, y compris des journalistes omniprésents sur les écrans et les plateformes, jour et nuit. Ils expriment désormais leur désir de se présenter aux élections législatives — et, bien sûr, ils ont tout à fait le droit de rêver et d’aspirer. Mais avec le ton qu’ils emploient à l’antenne, le langage vulgaire et les jugements hâtifs dépourvus d’éthique et de valeurs, ne correspondent-ils pas à la conclusion du philosophe Alain Deneault dans son ouvrage La Médiocratie : « Les médiocres ont pris le pouvoir » ?

Deneault affirme aussi que l’empire de la médiocrité s’étend désormais à tous les domaines de la vie — l’économie, la science, le droit et la politique. Il déplore que cette « culture de la médiocrité » commence et se termine dans les milieux académiques — les universités, les facultés et les centres de recherche.

Les souffrances du Liban, déjà dirigé depuis longtemps par des « médiocres » installés au pouvoir, sont suffisantes ; il n’a pas besoin d’y ajouter des « médiocres saisonniers » de passage. Le long métrage politique n’en est qu’à son début — et dans cette salle obscure qu’est la politique libanaise, il faudra bien un autre sachet de pop-corn… ou même quelques saisons entières de maïs.