Le dicton libanais « Les deux tiers d’une plaisanterie sont vrais » ne s’applique pas seulement aux remarques lancées par des gens ordinaires, mais aussi aux « opinions personnelles » que des responsables ou des politiciens préfèrent présenter comme telles. Ce fut le cas de l’ambassadeur des États-Unis en Turquie et envoyé spécial pour la Syrie, Tom Barak, qui a publié avant-hier un message sur X.

Barak a diffusé un long texte intitulé « Point de vue personnel – La Syrie et le Liban, les deux prochaines pièces vers la paix du Levant », un message dense et plein de sous-entendus — dont le format, long et réfléchi, tranche avec la nature habituelle de la plateforme. Ses positions n’ont pas été exprimées lors d’une interview télévisée — où l’on pourrait plaider l’emportement ou la mauvaise interprétation — ni dans des propos improvisés, mais dans un texte soigneusement rédigé à l’avance. Cela signifie que Barak a choisi ses mots avec soin et y a réfléchi avant de les publier — lui qui est connu pour ses « envolées » et ses expressions controversées telles que « Bilad al-Cham » et « animalistic ».

Le timing est tout aussi révélateur : il intervient alors que le « camp de la résistance » à Beyrouth commence à affirmer que Barak a été écarté du dossier libanais, et à la veille de l’arrivée du nouvel ambassadeur américain au Liban, Michel Issa — laissant entendre que Barak définit le cadre dans lequel ce nouveau diplomate évoluera. Il survient également après l’accord de Gaza et le sommet de Charm el-Cheikh du 13 octobre 2025, qui ont coïncidé avec des positions avancées du président libanais Joseph Aoun concernant les négociations avec Israël et la paix régionale.

Le président Aoun a affirmé que le Liban ne pouvait que s’engager dans la voie de la « résolution des crises » en cours dans la région, soulignant que « les choses avancent vers la négociation pour établir la paix et la stabilité, et elles portent leurs fruits… Par le dialogue et la négociation, on peut parvenir à des solutions… Nous ne pouvons plus supporter davantage de guerres, de destructions, de morts et de déplacements. » Ces derniers jours pourtant, les efforts du « duo chiite » ont refait surface pour diluer ou vider ces déclarations de leur contenu — donnant à celles de Barak un ton d’avertissement à leur égard.

Si les points soulevés par Barak ne sont pas nouveaux — ils sont au cœur des discussions internes et internationales depuis longtemps —, leur importance réside dans la tonalité plus alarmiste adoptée, nommant explicitement la menace que représente l’armement du « Hezbollah », sans euphémisme ni diplomatie.

D’abord, Barak a déclaré que l’accord de cessez-le-feu de 2024, négocié par l’administration Biden, était désormais caduc. Concrètement, cela rend caduques les affirmations répétées du « Hezbollah » selon lesquelles il n’aurait pas tiré une seule balle depuis cette date, alors qu’Israël poursuit ses frappes. Cet « engagement » était d’ailleurs partiel : il portait sur l’arrêt des tirs, mais non sur la remise des armes ni sur le démantèlement de l’infrastructure militaire sur l’ensemble du territoire libanais, comme le stipulait le texte de l’accord.

Le « duo » a rapidement réagi, tentant de ranimer un « accord » déjà mort. Cherchant à bloquer toute négociation avec Israël dont il ne serait pas le principal acteur — comme lors de la délimitation maritime —, et voulant éviter toute confrontation avec le président Aoun à propos de ses récentes déclarations, le président du Parlement Nabih Berri a affirmé que la voie de négociation proposée entre le Liban et Israël avait échoué en raison du refus de Tel-Aviv de répondre à une proposition américaine, citant Barak à l’appui. Il a également déclaré au Sharq al-Awsat que la seule voie actuelle était celle du « mécanisme », réaffirmant son attachement à l’accord de cessez-le-feu malgré l’annonce de son échec par Barak.

Ensuite, Barak a affirmé que le désarmement du « Hezbollah » était inévitable — un point de convergence entre plusieurs acteurs : pour le Liban, il signifierait la restauration de la souveraineté et la possibilité d’une relance économique ; pour Israël, il garantirait la sécurité de sa frontière nord ; pour les États-Unis, il faciliterait la mise en place d’un cadre de « paix par la prospérité » ; et pour la région dans son ensemble, il éliminerait l’un des principaux relais de l’Iran — aux côtés du Hamas —, accélérant la modernisation et l’intégration du monde arabe.

Troisièmement, il a averti que « si Beyrouth continue d’hésiter, Israël pourrait agir unilatéralement, avec des conséquences graves », ajoutant que « si Beyrouth ne bouge pas, la branche militaire du "Hezbollah" se retrouvera inévitablement confrontée à une grande confrontation avec Israël — au moment où Israël est fort et où le "Hezbollah", soutenu par l’Iran, est affaibli. »

Quatrièmement, Barak a mis en avant les attraits liés à une décision de rejoindre le train des accords d’Abraham et la dynamique de paix qui progresse dans la région — même au son des armes —, soulignant que le Sommet de la paix de Gaza avait constitué l’ouverture d’une nouvelle symphonie de coopération, qui devrait s’étendre vers le nord — jusqu’à la Syrie, puis au Liban. Il a lié la volonté des partenaires régionaux d’investir au Liban à sa capacité de rétablir le monopole de la force légitime aux mains de l’État légitime. En pratique, cela consacre une équation claire : pas de reconstruction tant que le « Hezbollah » demeure armé.

Barak a conclu en déclarant : « C’est maintenant le moment pour le Liban d’agir. » Cela signifie-t-il que nous venons d’entrer dans le temps mortel alors que le « Hezbollah “ batifolait dans le temps perdu ?