Les pays en crise se tournent généralement vers le Fonds monétaire international (FMI) comme dernier recours pour emprunter, lorsque toutes les autres portes se ferment. Cependant, le financement n’est pas une fin en soi ; il s’agit d’un moyen, souvent conditionné à la mise en œuvre de réformes économiques destinées à garantir la capacité de l’État à retrouver l’équilibre. Dans le cas du Liban, la situation semble controversée — du moins sur le plan théorique. Au cours des deux dernières années, l’économie a réussi à corriger le déséquilibre de la balance des paiements et à rétablir l’équilibre budgétaire, deux piliers essentiels exigés pour accéder au soutien du FMI. Par ailleurs, les responsables ne cessent d’affirmer que les réformes sont avant tout une exigence nationale avant d’être une condition internationale, et qu’elles sont appliquées dans l’intérêt du pays. Alors, qu’est-ce qui justifie la poursuite des négociations avec le FMI ?
« Certainement pas pour l’argent », a répondu le ministre de l’Économie et du Commerce Amer Bsat, lors de son intervention à la « Session avec le Bloc » organisée par le « Bloc national », où j’ai eu l’honneur de l’interviewer. Le ministre a retiré ses gants politiques et s’est exprimé avec franchise, en parfaite harmonie avec l’objectif de la session : mettre les responsables face au public et ouvrir un débat sincère sur les grandes questions nationales. « Ce n’est un secret pour personne, a-t-il déclaré, que les conditions d’obtention des fonds — versés en plusieurs étapes complexes — sont très exigeantes. Nous ne nous engagerons à aucune condition qui ne soit pas dans notre intérêt national. »
La relation avec le Fonds
« Si les négociations ne visent ni l’argent ni l’application de diktats étrangers, alors quel en est le but ? » s’est interrogé Bsat. Selon lui, il y a deux raisons principales. La première est de bénéficier de l’expertise technique et consultative du FMI, acquise au fil de décennies d’expérience auprès de nombreux pays qu’il a aidés à surmonter leurs crises économiques. La seconde est de contribuer à combler le large déficit de crédibilité dont souffre le Liban. « Nos partenaires internationaux — États, institutions et organismes — ont perdu confiance en nous, et rien ne peut la rétablir sinon le sceau d’approbation du FMI sur les réformes accomplies. Nous espérons parvenir un jour à un accord non financier avec le Fonds, qui nous éviterait le coût élevé de l’endettement. »
Bsat a confirmé « qu’il existe un besoin à court terme d’emprunter pour financer des projets essentiels que nous ne pouvons pas couvrir avec nos recettes fiscales et tarifaires limitées », tout en écartant les craintes que ces prêts soient remboursés au détriment des prestations sociales ou par de nouvelles taxes et redevances. En conséquence, il estime que ces emprunts constituent « un pont vers la phase suivante », soulignant que, selon la terminologie du FMI, ils ne représentent pas une menace pour la soutenabilité de la dette libanaise. « Nous sommes pleinement conscients et déterminés à ne pas utiliser les prêts de manière illimitée », a-t-il ajouté. « Mais la croissance souhaitée ne peut être atteinte sans investissement. »
Une croissance en hausse
La réalisation de la croissance demeure la condition essentielle de toute reprise économique, surtout si le Liban veut passer d’un système fragile, fondé sur les transferts financiers et certaines formes de rente, à une économie productive axée sur les exportations et l’élargissement des bases industrielles et de services. Malgré cela, la situation reste difficile. Les institutions de l’État souffrent d’une faiblesse structurelle, et les relations entre les secteurs public et privé demeurent entravées par une bureaucratie chronique. Ce qui a été accompli jusqu’à présent peut sembler une goutte d’eau dans l’océan des défis, nécessitant beaucoup de temps pour aboutir à une véritable percée. Pourtant, selon le ministre Amer Bsat, voir le verre à moitié plein donne des raisons d’espérer. Au cours des dix premiers mois de l’année, l’économie libanaise a enregistré sa meilleure performance depuis 2011, avec une croissance atteignant 5 %. Le ministre espère que ce taux augmentera d’ici la fin de l’année, surtout si le pays connaît une période de stabilité et de calme pendant les fêtes de Noël et du Nouvel An.
Les conditions d’une croissance durable
La question demeure toutefois de savoir dans quelle mesure cette croissance est fragile, étant donné qu’elle repose principalement sur la consommation. Les estimations indiquent que les importations atteindront environ 20 milliards de dollars, tandis que les exportations réelles dépasseront à peine les 2 milliards. Selon les comptes nationaux, les transferts financiers de l’étranger continuent d’alimenter la demande de consommation, le revenu disponible total destiné à la consommation ayant atteint 37,4 milliards de dollars en 2023, contre un PIB estimé à 31,6 milliards. Le ministre Bsat ne cache pas son inquiétude face à la nature de la croissance récente du Liban, mettant en garde contre un retour au modèle d’avant-crise — fondé sur la consommation plutôt que sur l’investissement, sur les importations plutôt que sur les exportations, et sur l’endettement plutôt que sur la production — dans un contexte d’institutions publiques faibles et inefficaces. Il affirme que la transition vers une croissance durable nécessite une refonte complète du modèle économique.
Pour y parvenir, Bsat propose quatre étapes essentielles. Premièrement, réformer le secteur bancaire — non seulement pour restituer les dépôts des épargnants, mais aussi parce que toute croissance économique nécessite un secteur financier solide capable d’assurer le cycle des dépôts et des crédits. Deuxièmement, renforcer la compétitivité du secteur privé en réduisant les coûts de production élevés, notamment ceux liés à l’électricité, aux télécommunications, aux infrastructures et aux transports, tout en luttant contre la corruption. Troisièmement, consolider les institutions publiques et améliorer les relations actuellement dysfonctionnelles entre les secteurs public et privé, en insistant sur la nécessité de réduire la bureaucratie et de moderniser l’administration par de nouvelles compétences. Quatrièmement, opérer une transformation politique et sécuritaire globale, car la croissance est impossible sans la pleine souveraineté de l’État, notamment sur les ports, l’économie informelle, la stabilité sécuritaire et le contrôle des armes en dehors de l’autorité de l’État.
Bsat estime que ce « plan en cinq points » pourrait entraîner une véritable transformation de l’économie libanaise. L’équation, selon lui, est claire : « Les réformes conduisent à la transformation économique et à une prospérité durable. » Les espoirs sont grands et légitimes, mais ils se heurtent encore à d’immenses défis. Cependant, cela ne signifie pas qu’il ne faille pas commencer quelque part, selon Bsat. « Le point de départ est prometteur, a-t-il conclu, à condition que les politiques se poursuivent et ne soient pas interrompues par le prochain changement de gouvernement attendu dans six mois. »
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