Plusieurs signes annoncent une nouvelle phase dans les relations américano-saoudiennes, qui s’inscrit dans ce que certains qualifient de naissance d’un « nouveau Moyen-Orient » — une ère qui succède aux grandes guerres de la région. La transition ne sera pas simple et passera par de multiples complications, mais son point de départ réside dans la fin de la guerre de Gaza, telle qu’elle s’était déroulée jusqu’à récemment. Dans cette perspective, Riyad et Washington se préparent à un saut qualitatif, renforcé par les liens personnels étroits entre le président américain Donald Trump et le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.

Trump a souvent inscrit sa diplomatie dans un cadre personnel, reflet de son style pragmatique, orienté vers l’action, privilégiant la rapidité à la bureaucratie et préférant traiter avec des « hommes forts jouissant d’un large soutien populaire ». Il y a quelques mois à Riyad, il a décrit Ben Salmane en ces termes, soulignant à quel point il se sentait à l’aise avec l’ambition du prince héritier : « L’Arabie d’abord ». Loin d’y voir une menace, Trump y trouve une forme de réassurance — ce qui l’encourage à offrir protection militaire, soutien régional et même concessions politiques. En Syrie, par exemple, Trump a levé ses sanctions contre Damas et son président Ahmad al-Charaa, ancien « terroriste », qui a été chaleureusement accueilli à Riyad.

Trump n’a pas exercé de pression sur Ben Salmane pour précipiter une normalisation avec Israël ou pour rejoindre les « Accords d’Abraham », bien qu’il ait reconnu que cette normalisation restait l’un de ses objectifs majeurs. Il a préféré laisser les Saoudiens avancer à leur propre rythme. Il a également pris soin de respecter la sensibilité saoudienne sur la question palestinienne, tout en soutenant l’ambitieuse Vision 2030 de Ben Salmane, qui prévoit d’immenses investissements dans la logistique, le transport, les énergies renouvelables et nucléaires, le secteur minier, le tourisme et l’immobilier.

Cette compréhension repose sur l’importance stratégique de l’Arabie saoudite pour les États-Unis — à la fois comme investisseur majeur dans leur économie, comme l’un des plus grands acheteurs d’armes et de technologies américaines, et comme acteur décisif dans la stabilisation des prix du pétrole. Le rôle de Riyad est crucial notamment face aux rivaux mondiaux de Washington, comme la Chine, qui dépend fortement du pétrole saoudien. En retour, les Saoudiens recherchent la protection américaine alors qu’ils ambitionnent de transformer leur royaume en hub économique du Moyen-Orient.

Pour autant, la sécurité reste la préoccupation première des Saoudiens. Avec un Golfe encore ébranlé par la récente frappe israélienne sur le Qatar, Ryad et Washington intensifient leurs discussions qui pourraient aboutir à un pacte de défense mutuelle. Les Saoudiens espèrent finaliser cet accord lors de la visite de Ben Salmane à la Maison-Blanche le mois prochain — la première depuis 2018. Les responsables de Riyad veulent un accord « important » et « solide », couvrant la coopération militaire, du renseignement, de défense et de sécurité.

La souplesse de Trump, la rigidité de Biden

Les inquiétudes saoudiennes dépassent leurs frontières, notamment face à des menaces telles que le terrorisme. Récemment, Riyad a conclu un pacte stratégique avec le Pakistan nucléaire — un signal clair adressé à Washington, montrant que le royaume est prêt à diversifier ses alliances si nécessaire.

Les Saoudiens avaient cherché à obtenir un accord de défense avec les États-Unis sous la présidence de Joe Biden, mais les négociations ont échoué en raison de l’insistance de Washington sur la normalisation avec Israël, une condition que Riyad rejette tant qu’un État palestinien indépendant, fondé sur l’Initiative de paix arabe de 2002, n’aura pas vu le jour. Trump, en revanche, semble plus conciliant. Il se dit prêt à conclure un pacte de défense, que ce soit par traité officiel ou par décret exécutif, en reportant la question israélienne.

En mai, Riyad a adressé un signal fort de bonne volonté en signant un contrat d’armement de 142 milliards de dollars avec Washington — soit le double du budget de la défense saoudienne pour 2024. La Maison-Blanche l’a qualifié du plus grand accord de défense de l’histoire. Aujourd’hui, la liste de courses de Riyad inclut des chasseurs F-35, des drones, des systèmes de défense antimissiles ainsi qu’un renforcement de la sécurité maritime et frontalière, autant de demandes liées à ses ambitions militaires et à ses inquiétudes sécuritaires.

Cette dynamique s’appuie sur la souplesse de Trump, à l’inverse de l’ère Biden, durant laquelle l’idée d’un traité calqué sur ceux conclus avec le Japon et la Corée du Sud avait été discutée. Ces traités, à l’instar de l’article 5 de l’OTAN, engagent les États-Unis à considérer une attaque contre ces pays comme une attaque contre eux-mêmes. Si Trump désignait l’Arabie saoudite comme « allié majeur hors-OTAN », cela faciliterait encore davantage la vente d’armes sophistiquées en court-circuitant la bureaucratie.

Washington considère déjà Riyad comme stratégiquement plus important que ses voisins du Golfe, en raison de son armée plus vaste, de ses ressources diversifiées, de son influence diplomatique et stratégique plus large et de sa stabilité à long terme. L’Arabie saoudite devrait ainsi jouer un rôle décisif dans les prochains défis régionaux.

Feu vert pour un rôle accru de Riyad

À l’échelle régionale, Washington semble prêt à faciliter un rôle accru de l’Arabie saoudite, appelée à devenir la pierre angulaire de la paix que Trump souhaite inscrire à son actif. Riyad, de son côté, s’est récemment écartée de la ligne américaine en condamnant les actions d’Israël à Gaza, qualifiées de génocide, en appelant à un cessez-le-feu et en travaillant avec la France pour élargir la reconnaissance internationale de la Palestine, qui bénéficie désormais du soutien de 147 pays sur les 193 membres de l’ONU.

Concernant l’Iran, ni Washington ni Riyad ne semblent vouloir une guerre. L’Arabie saoudite a maintenu une trêve pragmatique avec Téhéran, consolidée par un accord signé sous l’égide de la Chine il y a deux ans, et toujours en vigueur. Riyad a également condamné les récentes attaques israéliennes contre l’Iran.

Vers le nord, l’Arabie saoudite tourne son regard vers la Syrie, où elle affronte l’influence concurrente de la Turquie, liée aux Frères musulmans. Riyad y renforce son implication, cherchant à étendre son influence dans un pays où le rapprochement sunnite-chiite traverse les frontières de Damas à Téhéran. Washington observe de près sans intervenir, tant qu’il demeure le principal moteur des événements régionaux. Pour Riyad, une Syrie stratégiquement forte et stable, non expansionniste, renforcerait à la fois la sécurité saoudienne et régionale.

En résumé, Washington semble avoir donné à Riyad un feu vert pour jouer un rôle accru dans la région. En retour, l’Arabie saoudite s’efforce d’obtenir des garanties sécuritaires américaines, des partenariats stratégiques et économiques, ainsi qu’une stabilité régionale allant au-delà du rapport personnel entre Trump et Ben Salmane. C’est une nouvelle vision, façonnée par des changements profonds encore à venir.