Une épée de verre gravée de la phrase « La transparence est une épée pour déraciner la corruption » est la première chose qui attire le regard dans la salle de réunion du palais présidentiel. Autour de la table, où s’empilent les dossiers du pays, les visiteurs assis face à cette inscription — selon le protocole — ne peuvent s’empêcher de se remémorer les épisodes où la corruption a ravagé le Liban, de rappeler le discours d’investiture qui avait fait de la lutte contre la corruption une priorité absolue, et de songer à l’enchevêtrement des intérêts politiques et financiers. Ces pensées affluent rapidement — jusqu’à ce qu’une voix retentissante coupe le silence : « Monsieur le Président », annonçant l’arrivée du président Joseph Aoun.
La visite, organisée par l’Association des journalistes de l'Économie au palais de Baabda, n’était pas seulement protocolaire. Elle visait à transmettre les inquiétudes de la rue et des secteurs productifs, à ouvrir un débat franc avec les centres de décision sur les défis financiers et économiques, et à s’enquérir du chemin des réformes.
Le Liban « n’est pas en danger »
Le président Joseph Aoun s’est montré rassuré par les avancées enregistrées sur les plans politique, économique et sécuritaire. Il a déclaré devant la délégation : « Le Liban n’est pas en danger. Beaucoup de ce qui se dit est exagéré et ne reflète pas la réalité. » Malgré tous les défis, l’économie devrait croître de 5 % cette année, le PIB atteindre 30 milliards de dollars, et les flux financiers issus du tourisme, des exportations et des transferts avoisiner 20 milliards de dollars. Ces indicateurs positifs s’accompagnent, selon lui, d’un climat sécuritaire excellent. Plus de 1,7 million de touristes ont visité le Liban cet été, les festivals ont animé toutes les régions, et, comme il l’a dit : « Nous n’avons pas vu même une gifle. » Le Liban se prépare également à accueillir bientôt le Pape — un événement hautement symbolique quant au rôle du pays et aux efforts pour rétablir la confiance.
Des instances de contrôle fragilisées
Le ton optimiste du président à propos des indicateurs « macro-économiques » a changé lorsqu’il a évoqué la situation des institutions publiques et des instances de contrôle, en particulier celles chargées de lutter contre la corruption, telles que la Commission nationale anticorruption et l’Autorité des marchés publics. Ces organismes souffrent non seulement d’un manque criant de financement et de personnel, mais aussi de l’absence des outils les plus élémentaires : bâtiments délabrés, coupures d’électricité récurrentes, absence de chauffage et de climatisation. De tels obstacles, a-t-il reconnu, les empêchent de jouer pleinement leur rôle, et ce malgré les progrès accomplis dans la nomination des organes de régulation et dans la réforme judiciaire pour soutenir la réforme administrative, combattre la corruption et renforcer la transparence dans le secteur public. Dans ce cadre, Aoun a proposé la création d’un complexe unifié regroupant toutes les instances de contrôle, doté des moyens nécessaires pour leur permettre d’agir efficacement.
Une longue route vers la reprise
En rappelant la crise financière grecque — qui a nécessité près de huit ans pour être surmontée malgré le soutien massif de l’Union européenne et des institutions internationales — le président a laissé entendre que la reprise économique du Liban serait également longue et complexe. Cette impression est renforcée par le blocage financier et économique persistant au sein du système. « Nous avons approuvé la loi sur le secret bancaire, mais nous n’avons pas encore publié ses décrets d’application. Nous avons adopté la loi sur la réforme bancaire, mais son application reste suspendue. D’autres lois connaissent le même sort », a rappelé le ministre de la Culture, Ghassan Salamé, dans une récente interview télévisée.
Plus de soixante-dix lois financières, fiscales et réglementaires attendent encore leurs décrets d’application, bloqués depuis des années — peut-être indéfiniment — parce qu’ils heurtent les intérêts de l’élite dirigeante. En tête de liste figure la loi n°55 sur « l’échange d’informations à des fins fiscales », adoptée en 2017, qui, si elle était appliquée, mettrait fin aux fuites de capitaux et au blanchiment d’argent, et permettrait d’injecter d’énormes sommes dans le Trésor issues des activités et investissements des Libanais à l’étranger.
Une réalité plus complexe sur le terrain
Plus on approfondit, plus le tableau se complique — renforçant le pessimisme, à l’opposé de l’optimisme affiché par les responsables. Le président du Parlement, Nabih Berri, avait lui-même déclaré devant l’Association des journalistes économiques, lors d’une rencontre précédente, que le budget 2026 ne passera pas au Parlement, faute de crédits pour la reconstruction. Il est allé plus loin : « L’économie ne peut pas redémarrer tant que la guerre continue. » Et puisqu’il n’existe toujours aucun accord sur la question des armes, la guerre ne s’arrêtera pas — et l’économie ne prospérera pas.
Certes, le budget 2026 pourrait être promulgué par décret à la fin janvier, si le Parlement refuse de le débattre et de l’approuver, puisqu’il a été soumis dans les délais constitutionnels. Mais est-ce une pratique saine ? D’autant plus que le budget de l’année en cours a également été promulgué par décret. La discussion et l’approbation du budget — exercice auquel est consacré le second cycle ordinaire du Parlement — ne relèvent-elles pas du cœur des missions des législateurs ? La crise financière peut-elle être résolue sans l’adoption de la loi sur le « gap financier » ? Le Liban peut-il regagner la confiance internationale sans un accord signé avec le FMI ? Et peut-on éradiquer la corruption avec une épée émoussée par des obstacles de toutes parts ?
Autant de questions auxquelles les autorités libanaises devront redonner un élan. Car, au bout du compte, l’application des lois, quel qu’en soit le prix, reste la seule et ultime solution. Comme dit le proverbe : « Dernier remède, le fer rouge. »
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