Historiquement, les économies du Moyen-Orient ont été directement ou indirectement liées au pétrole et au gaz. Mais les avancées technologiques — globalement positives — et les pressions climatiques — largement négatives — placent aujourd’hui les pays producteurs de la région à un carrefour stratégique : maximiser la valeur de leurs vastes réserves d’hydrocarbures ou se repositionner comme un hub mondial de l’énergie propre. Cette nouvelle donne oblige les décideurs à adopter des stratégies de transition afin de préserver leur rôle de fournisseurs d’énergie dans un monde de plus en plus contraint par les émissions de carbone — un passage d’un passé carboné à un avenir plus vert.

L’Arabie saoudite et les Émirats en première ligne

Des pays comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis se sont déjà engagés à intégrer des industries bas-carbone dans leurs chaînes de valeur énergétiques. Cette approche consiste à mobiliser les ressources nationales, les capitaux et les infrastructures existantes, tout en exploitant une position géographique privilégiée pour l’énergie solaire.

Une stratégie fondée sur la technologie et l’investissement

La stratégie régionale repose sur deux piliers principaux :

1. Décarboniser les hydrocarbures.

Les États du Golfe ont intensifié le recours aux technologies de capture, d’utilisation et de stockage du carbone (CCUS). Ces procédés permettent non seulement d’améliorer la récupération assistée du pétrole, mais aussi de transformer le CO₂ en matière première pour des produits chimiques à forte valeur ajoutée comme l’urée et le méthanol. Cette approche relie le passé pétrolier au futur vert, en utilisant le gaz et les infrastructures existantes tout en réduisant les émissions.

Cette activité génère de nouvelles recettes en faisant du carbone une ressource industrielle, tout en améliorant l’efficacité et la compatibilité environnementale de la production fossile. Les géants du secteur, notamment Aramco en Arabie saoudite et ADNOC aux Émirats, développent également des infrastructures logistiques pour exporter l’hydrogène (ammoniac bleu) vers l’Europe et l’Asie. L’objectif stratégique affiché est de dominer le marché mondial de l’hydrogène vert.

En matière solaire, le Moyen-Orient bénéficie d’un ensoleillement parmi les plus élevés du monde, ce qui se traduit par des coûts de production d’énergie renouvelable très bas et, par ricochet, une baisse du coût de l’hydrogène vert produit par électrolyse.

2. Investir massivement dans l’énergie propre.

Le projet saoudien « Neom Green Hydrogen », évalué à 8,5 milliards de dollars, est l’un des plus ambitieux au monde, avec une production prévue de 600 tonnes d’hydrogène vert par jour. Plus largement, l’initiative « Saudi Green » vise à porter la part des renouvelables à 50 % de l’électricité produite dans le Royaume d’ici 2030, notamment grâce à des projets solaires géants comme la centrale d’Al Shuaibah (2,6 GW).

Aux Émirats, le projet solaire d’Al Dhafra (2 GW), mené par Masdar, établit de nouvelles références pour les projets éoliens et solaires à l’échelle locale et internationale, renforçant la transition verte.

Les fonds souverains comme leviers

Un élément clé de ces projets est le rôle des fonds souverains, tels que le Public Investment Fund en Arabie saoudite et les différents véhicules d’investissement des Émirats. Ces fonds sont essentiels pour réduire les risques de projets coûteux et attirer les capitaux privés.

Fait marquant : plus de 90 % des fonds souverains du Moyen-Orient intègrent désormais l’hydrogène vert, les renouvelables et les technologies climatiques dans leurs stratégies d’investissement à long terme. Cela accélère l’émergence de la région comme acteur majeur de l’énergie propre.

Mutation de la pétrochimie

L’un des résultats les plus significatifs de cette diversification est la transformation du rôle de la région : de simple exportatrice de brut, elle devient fournisseur de produits pétrochimiques à forte valeur ajoutée. Cette évolution cadre avec des visions nationales comme « Vision 2030 » en Arabie saoudite. Elle reflète aussi la mutation de la demande mondiale : alors que l’essor des véhicules électriques réduit la consommation de pétrole dans les transports, la pétrochimie devient le principal moteur de la demande.

Plutôt que de vendre le pétrole brut comme matière première, les pays du Golfe le transforment en produits à haute valeur (polymères, plastiques, etc.), assurant ainsi la pérennité de la demande et protégeant leurs budgets des aléas du marché mondial du pétrole. L’Arabie saoudite et les Émirats investissent massivement dans ces capacités de transformation, augmentant la valeur ajoutée par baril et réduisant la dépendance aux exportations de brut.

Vers un rôle mondial dans l’énergie propre

En définitive, le Moyen-Orient démontre sa capacité à planifier à long terme et à renforcer son rôle dans l’énergie mondiale. La région est en passe de devenir à la fois plus efficace et parmi les moins émettrices de carbone dans le secteur énergétique.

Cette transformation pourrait marquer le retour de l’innovation arabe et l’affirmation d’un rôle de leader dans l’élaboration des politiques mondiales, qu’il s’agisse d’économie, d’énergie ou de climat.