L’analyse de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS en France et chercheur associé au Policy Center for the New South de Rabat.
Francis Perrin
A l’Assemblée générale de l’ONU, à New-York, Donald Trump a réitéré son souhait que les Européens stoppent leurs achats de pétrole russe. Il faut dire que production américaine d’énergie fossile issue de la fracturation est un sérieux concurrent de premier ordre pour l’OPEP !
Grâce à leur production de pétrole de schiste, les Etats-Unis sont depuis plusieurs années le premier producteur mondial de brut avec un niveau actuel de 13,5 Mb/j devant l’Arabie Saoudite (environ 9,7 Mb/j) et la Russie (9,3 Mb/j). Et leur production totale de liquides (pétrole brut et autres liquides) est beaucoup plus importante puisque l’on atteint un niveau de l’ordre de 20 Mb/j, soit presque un cinquième de la production pétrolière mondiale, ce qui est considérable. Clairement, les Etats-Unis sont le principal concurrent de l’OPEP (12 pays) et de l’OPEP+ (22 pays, dont les 12 États membres de l’OPEP).
L’Europe importe du gaz de schiste américain liquéfié. Alors que ce type d’énergie est interdit de production dans ces pays pour des raisons écologiques ! Une hypocrisie ?
La France importe beaucoup de gaz naturel liquéfié (GNL) des Etats-Unis et ce GNL est essentiellement produit outre-Atlantique à partir de gaz de schiste. Notre pays interdit l’utilisation de la fracturation hydraulique sur le territoire national depuis près de quinze ans et cette attitude est donc complètement contradictoire. On importe quelque chose que l’on interdit de produire chez nous. De façon plus générale, l’Union européenne (UE) importe beaucoup de gaz naturel liquéfié américain et cette tendance s’est accrue depuis 2022. L’UE entend en effet se passer complètement du gaz russe au début 2028 au plus tard. Or, les Etats-Unis sont le premier producteur mondial de gaz naturel, le premier exportateur de gaz et le premier exportateur de GNL. De plus, à la fin juillet, l’UE a pris l’engagement auprès de Donald Trump d’augmenter de façon considérable ses achats d’énergie aux Etats-Unis sur la période 2026-2028 afin de limiter les dégâts (droits de douane) en matière commerciale. Le chiffre avancé est de $750 milliards sur trois ans, ce qui est d’ailleurs irréaliste, mais la tendance est clairement à la hausse toute.
La France continue-t ’elle d’acheter directement ou indirectement du pétrole et du gaz russe ?
La France n’importe plus de pétrole russe à la différence de quelques pays de l’UE. Il n’en est pas de même pour le Gaz naturel liquéfié russe qui continue à arriver sur le marché français et européen. Cela dit, l’UE a très fortement réduit sa dépendance envers les hydrocarbures russes depuis 2022. Il faut certes aller plus loin mais on doit quand même souligner l’importance de l’effort accompli par les Européens au cours des dernières années. Pour les produits raffinés, nous n’en importons pas de Russie mais la France et l’UE en achètent à certains pays qui importent eux-mêmes du pétrole russe. À noter que, dans le cadre du 18ème paquet de sanctions de l’UE contre la Russie adopté en juillet 2025, ces importations de produits raffinés dérivés en partie de pétrole russe seront interdites. La mise en œuvre de cette nouvelle disposition interviendra au début 2026.
L’Arabie saoudite, la Russie et six autres membres de l’OPEP vont augmenter de 1,65 million de barils de brut par jour d’ici quelques mois. Ces producteurs veulent ainsi tirer les prix à la baisse. Quels est leur but ?
Ces huit pays, qui font partie d’une coalition de 22 pays souvent appelée OPEP+, ont commencé à augmenter mensuellement leur production pétrolière en avril 2025. Ils avaient prévu de remettre sur le marché un volume de 2,2 millions de barils par jour (Mb/j) sur une période de 18 mois mais ils l’ont fait en six mois seulement. Et, à présent, ils veulent accroître leur production de 1,65 Mb/j sur une période qui n’a pas été précisée. Tout ceci alors que le marché pétrolier mondial est caractérisé, au cours du second semestre 2025, par un excédent significatif de l’offre pétrolière sur la demande. Ces décisions sont évidemment un facteur baissier en termes de prix du pétrole et vont dans le sens de ce que souhaite Donald Trump qui avait publiquement annoncé au début de cette année qu’il allait demander aux pays OPEP, dont notamment l’Arabie Saoudite, de produire plus pour faire baisser les prix. Pour ces huit pays (Arabie Saoudite, Russie, Irak, Émirats Arabes Unis, Koweït, Kazakhstan, Algérie et Oman), il s’agit à la fois de répondre aux desiderata du président américain et de mettre l’accent sur la défense de leurs parts de marché plutôt que sur le soutien des prix. C’est un retournement stratégique important car, entre l’automne 2022 et la fin de 2024, l’OPEP+ avait à plusieurs reprises réduit sa production pour exercer un effet haussier sur les prix du brut.
Les faits géopolitiques majeurs, les frappes d’Israël au Qatar, l'interception de plusieurs drones russes entrés dans l'espace aérien polonais ou la violation de l’espace aérien d’autres pays membres de l’OTAN vont-ils continuer d’influencer fortement les cours ?
Le pétrole est une matière première très géopolitique et ses prix réagissent donc à des facteurs géopolitiques majeurs. Prenons un exemple récent : les cours du brut ont fortement monté en juin du fait de la guerre entre Israël et l’Iran. Dans les dernières semaines, les prix ont été plutôt calmes, entre $65 et $70 par baril pour le Brent de la mer du Nord, mais les frappes ukrainiennes contre des objectifs pétroliers en Russie (raffineries, dépôts de stockage et terminaux d’exportation), l’incursion de drones russes en Pologne et l’attaque israélienne contre le Hamas au Qatar ont contribué à soutenir les prix alors que ceux-ci sont actuellement sous de fortes pressions baissières du fait de l’excédent de l’offre pétrolière mondiale sur la demande. Un autre élément géopolitique qui contribue à soutenir les cours est le possible renforcement des sanctions occidentales contre la Russie ou l’imposition de sanctions, y compris des droits de douane très élevés, contre les gros acheteurs de pétrole russe qui sont la Chine, l’Inde et la Turquie par ordre décroissant. Donald Trump a ouvert cette voie en imposant des droits de douane supplémentaires de 25% sur les exportations de l’Inde vers les Etats-Unis mais il a pour l’instant épargné la Chine qui est quand même le premier importateur de pétrole russe. Le président américain fait actuellement pression sur les autres pays de l’OTAN pour que ceux-ci n’achètent plus de pétrole à la Russie et sanctionnent la Chine sur ce sujet. Il promet que, dans cette hypothèse, il se joindra à la fête en imposant des droits de douane secondaires très élevés mais on peut se demander pourquoi il a décidé de sanctionner l’Inde et d’épargner la Chine, pour l’instant au moins.
Les droits de douane américains devraient avoir un effet récessif sur la croissance mondiale donc sur la demande de pétrole. Quelles sont vos prévisions ?
La politique commerciale très agressive de Donald Trump risque, au minimum, de ralentir la croissance économique mondiale et, peut-être, de précipiter le monde dans la récession. Même si l’on reste prudent et que l’on évoque seulement un ralentissement économique, c’est incontestablement un facteur baissier pour les prix du pétrole. L’or noir est le moteur de l’activité économique et, si celle-ci ralentit, le monde consomme moins de pétrole, ce qui fait baisser les cours toutes choses égales par ailleurs. Pour l’ensemble de cette année, l’Agence internationale de l’Energie (AIE) estime que la demande pétrolière mondiale pourrait croître de 700 000 b/j environ alors que l’offre progresserait de 2,7 Mb/j.
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