Les conflits mondiaux actuels posent des défis majeurs au transport maritime, qui représente environ 90 % du commerce mondial en volume, selon l'Organisation maritime internationale. Ces tensions géopolitiques perturbent les routes maritimes clés, augmentent les coûts logistiques et menacent la sécurité des navires et des équipages. Où en sommes-nous ?
C’est avec le COVID que l’opinion publique a pris conscience de l’importance du transport maritime mondial dans le flux des marchandises qui arrivent jusqu’à nous, et c’est avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine que l’opinion publique a découvert que les tensions géopolitiques pouvaient lourdement impacter ce transport maritime.
En réalité, le phénomène a toujours existé et certaines zones géographiques dans le monde sont, et resteront à jamais, les épicentres de potentiels conflits armés et de tensions géopolitiques. Citons le détroit d’Ormuz à l’entrée du golfe persique, le détroit de Bab el Mandeb à l’entrée de la Mer Rouge, celui de Malaka entre Indonésie et Malaisie, citons aussi la Mer de Chine méridionale où l'île de Taiwan fait face à la Chine, sans oublier de parler non plus des incontournables canaux de Suez ou de Panama…En redécouvrant la carte du Monde avec l’hypermédiatisation du terme « géopolitique », on réalise combien notre société de consommation moderne est dépendante du transport maritime mondial. On prend aussi conscience de l’impact que ces conflits armés et ces zones de tensions peuvent avoir jusque dans le panier de la ménagère. Impossible d’y échapper, même si, pour moi, le phénomène se médiatise plus qu’il ne s’amplifie.
En revanche, en avoir conscience est essentiel pour s’adapter, pour évoluer, pour changer nos modes d’achats et de consommation. C’est maintenant une évidence pour tous, nous sommes totalement dépendants de ces flux Est Ouest et donc fortement impactés par les crises et tensions géopolitiques dénoncées par l’OMI.
Justement , le cas de la mer Rouge qui constitue une artère vitale entre l’Europe et l’Asie …Environ 90 % des navires ont rerouté via le cap de Bonne-Espérance, allongeant les trajets de 10-14 jours et augmentant les coûts de fret de 30-50 % . Quels impacts pour le prix des marchandises transportées ?
Le cas de la Mer Rouge est symptomatique de ce que je viens d’évoquer. Face à quelques rebelles Houthis au Yémen, que même Donald Trump ne parvient pas à arrêter, le trafic en Mer Rouge reste très risqué pour les équipages et pour les navires ayant des intérêts avec Israël, les USA ou avec l’Angleterre (y compris même pour des navires ayant simplement fait escale dans des ports liés à ces intérêts). Dans le courant du mois de juillet, deux petits cargos ont été ciblés et coulés, et c’est au total plus de 110 navires qui ont été ciblés et touchés depuis le début du conflit, en octobre 2023 (statistiques des assureurs maritimes de l’IUMI (*1) Si le chiffre de 90 % de navires reroutés via le Cap de Bonne Espérance me semble excessif, il est clair que ceux qui le sont, sont soumis à l’augmentations des coûts de fret, de fuel, de transit, d’assurance, et à des allongements de temps de transport qui sont significatifs. Plus difficile à faire est d’estimer l’impact réel de ces surcoûts sur le panier de la ménagère, sachant qu’ils sont répercutés et lissés avant sur les innombrables intermédiaires de la chaîne de transport entre le départ du « producteur » et l’arrivée « chez le consommateur ».
En Mer Noire, la guerre russe en Ukraine a des impacts sur le port d’Odessa…On parle de mines dérivantes de frappes de missiles et de saisies de navires. Comment assurer la couverture de pareils risques ?
La mer Noire est un tout autre sujet, avec des tirs et des bombardements quotidiens sur des zones que les assureurs traditionnels ne peuvent plus accepter d’indemniser faute d’avoir la couverture en réassurance nécessaire pour protéger leur exposition financière. Dans le même temps, les trains de sanctions successifs qui interdisent de garantir des intérêts russes, dissuadent les assureurs maritimes « occidentaux » de s’aventurer en Mer Noire.
Mais le Sud-Global continue allègrement son commerce avec Moscou ?
Oui, la Turquie, la Chine, ou comme l’Inde, continuent à commercer avec la Russie, des armateurs, des sociétés de classification, des assureurs russes ou assimilés, entretiennent et développent une économie parallèle et transportent à bas coûts, en toute illégalité et surtout en toute impunité.
Cette partie sombre du transport maritime international, bien connu maintenant sous le nom de « dark fleet », ne cesse de grossir avec entre 800 à 900 navires « illégaux » actuellement répertoriés par l’IUMI.
La nature a horreur du vide…, même si le vide n’existe pas en maritime !
Ailleurs des tensions aussi en mer de Chine méridionale… Disputes territoriales entre la Chine, les Philippines, le Vietnam sur la souveraineté des …îles Paracels et Spratleys. Sans parler des revendications de Pékin sur Taïwan…
Pour les assureurs, les courtiers et les experts de la matière, les risques géopolitiques et les risques de guerre en zone Asie sont sans nul doute les plus compliqués à « cartographier », à terre, comme en mer. « Une poudrière qui n'apparaît qu’à la dernière minute sur les écrans radars » me confiait l’un d’entre eux. Loin de la mer, mais qui aurait imaginé le conflit frontalier violent qui a éclaté cet été entre les royaumes du Cambodge et de la Thaïlande avec des centaines de milliers de personnes déplacées ? Inde - Pakistan , Vietnam, Philippines, les exemples de conflits territoriaux et frontaliers sont aussi imprévisibles que nombreux… Mais revenons sur les mers ! Revenons en mer de Chine méridionale avec deux remarques sur le conflit possible entre Taiwan et la Chine, conflit potentiel mais explosif, qui attire l’attention des médias du monde entier. La première remarque pour préciser que les assureurs maritimes et transports, et notamment les spécialistes Risques de Guerre et risques politiques disposent de l’expertise, et surtout des capacités financières suffisantes pour indemniser les opérateurs du transport maritimes qui seraient impactés. Comme évoqué ci-dessus, les assureurs sont en veille sur ces zones sensibles, en Mer de Chine ou ailleurs, et en capacité de réagir avec un mode opératoire connu et performant. Ma seconde remarque pour souligner à nouveau l’extrême dépendance de nos économies occidentales face aux flux d’approvisionnements venant de la zone Asie. Si le COVID nous a permis d’en prendre conscience, c’est aujourd’hui le spectre d’un conflit majeur entre Taiwan et la Chine qui fait peser sur nos industries un risque majeur de pénurie sur d’innombrables composants électroniques et produits semis finis.
L’OMI (*2), émanation de l’ONU, veut taxer les émissions de carbone des navires . La décision serait prise en octobre et devrait prendre effet en 2027. Trump s’y oppose. Quel impact pour le transport maritime ? Croyez-vous à cette initiative de zéro émission nette ?
Il faut bien en comprendre l’enjeu et en mesurer l’étendue. Pour transporter par la mer 80 % des marchandises qui transitent dans le monde, il faut plus de 200 millions de tonnes de carburants chaque année, carburants encore très majoritairement issus des énergies fossiles… C’est dire combien l’objectif de l’OMI de Zéro émission nette pour 2027 est ambitieux, si l’on réalise, en plus, que la propulsion électrique des navires par batteries est tout simplement impossible et inadaptée pour ces distances. Bien sûr la France et de nombreux pays « avancent » sur des solutions de carburants de substitution (LNG - bio carburant / e-carburants) mais avec un sujet majeur derrière : comment rester compétitifs à l’échelle d’un armement mondial ? Ne l’oublions pas, le terrain de jeu est ici international ! Comment lutter et rester dans la course face à de nombreux pays et pavillons qui ne comprennent pas pourquoi il faut payer pour fabriquer des « carburants propres » alors qu’il suffit de se baisser pour ramasser celui qui est dans le sol ! Taxer les émissions de carbone pour verdir le transport maritime ? Oui bien sûr, et c’est un des rares moyens à mettre en œuvre massivement pour aller vers une décarbonation du transport maritime.
Quant au « zéro émission » nette, permettez-moi d’en douter, même s’il faut bien commencer par un bout et avancer…
Un vrai motif de satisfaction quand même ; l’accélération massive de l’électrification des ports permet déjà de réduire très significativement les émissions de carbone. En branchant à quai les paquebots et les ferries qui brûlaient auparavant autant de fuel au port qu’en mer, l’objectif de zéro émission est ici presque atteint…, mais à terre !
Le groupe CMA CGM va investir des milliards aux Etats-Unis , un groupe est né de la fusion entre les transporteurs maritimes belge et norvégien CMB Tech (ex-Euronav)…le secteur du transport maritime entre-t’il dans une nouvelle ère ?
Tout d’abord, il convient à mes yeux de se féliciter de ce qu’un armateur français, CMA CGM, solidement ancré dans le port de Marseille, figure parmi les tout premiers armateurs mondiaux et songe à investir des milliards aux Etats-Unis. Cocorico !
Comme dans tous les secteurs d’activité, le transport maritime n’échappe pas aux phénomènes de concentrations et le rapprochement évoqué du belge CMB Tech et du norvégien Golden Ocean fin août en est une parfaite illustration. Mais rappelons aussi que la particularité du transport maritime est, par essence, sa dimension internationale. Le transport maritime n’entre pas dans une nouvelle ère, il est en perpétuelle évolution. Précisons enfin que l’on ne peut plus parler du transport maritime sans évoquer l’incroyable montée en puissance de la logistique internationale dans les dernières décennies. Au-delà du transport lui-même, organiser, réguler, contrôler des flux de marchandises de bout en bout, du vendeur à l’acheteur final,est devenu un secteur d’activité à part entière. Même s’il reste au centre du jeu, l’armateur n’est aujourd’hui qu’un maillon de ce que l’on appelle la Supply Chain.
(*1) International Union Marine of Insurance
(*2) Organisation Maritime Internationale
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