L’envoyé présidentiel français Jean-Yves Le Drian a semé dans le « sol salé » de l’économie libanaise les graines de trois grandes conférences censées relancer le pays. La première, consacrée au soutien de l’armée, est clairement définie en termes de date, d’objectifs et de financement. Les deux autres, dédiées à la reconstruction et à l’attraction des investissements, demeurent floues et ne pourront éclore qu’après avoir « arrosé » abondamment le terrain : sortir du défaut de paiement des Eurobonds, quitter la liste grise du blanchiment d’argent, et réaliser les réformes structurelles nécessaires à un accord avec le Fonds monétaire international (FMI).
Des retards interminables dans la restructuration de la dette
Depuis l’annonce officielle du défaut sur les Eurobonds en mars 2020, la note du Liban a plongé dans la catégorie du « défaut sélectif ». Ce classement, juste avant le défaut total (D), signifie que le pays a cessé de rembourser une partie de ses obligations en Eurobonds, tout en continuant à honorer d’autres engagements, qu’ils soient internes en livres libanaises ou externes envers des institutions internationales comme la Banque mondiale.
Un optimisme prudent
Dans sa dernière évaluation, Standard & Poor’s a indiqué : « Nous ne prévoyons aucun progrès significatif sur la restructuration de la dette à court terme. « Pourtant, malgré ce constat pessimiste, le prix des Eurobonds sur les marchés mondiaux a grimpé de 19 % au cours des trois derniers mois, atteignant 22 cents pour un dollar. Les investisseurs y ont vu un signe d’approche d’une renégociation.
La dette libanaise atteint environ 31,3 milliards de dollars, détenue par des banques locales, la Banque du Liban et des fonds étrangers. Sa valeur de marché actuelle n’est toutefois que de 7 milliards. Les marchés s’attendent largement à ce que les prix montent entre 25 et 30 cents une fois les paiements relancés, rendant ces titres lucratifs. Cet optimisme s’appuie sur divers signaux : recul de l’emprise du Hezbollah sur la décision nationale, premiers pas vers la mise sous contrôle étatique des armes, adoption de la loi sur le secret bancaire et engagement sur la restructuration bancaire.
Les blocages politiques
Cette envolée soulève une question : les prix actuels sont-ils justifiés ? Si le Liban coche progressivement les conditions préalables du FMI, les fondamentaux laissent-ils présager une nouvelle hausse ou un repli ?
Un rapport du « Club des leaders » publié par Lebanon Opportunities a examiné la situation. Sa conclusion : les réformes économiques fondamentales restent essentielles pour obtenir l’appui du FMI. Parmi elles, la loi sur l’écart financier, indispensable pour répartir les pertes bancaires. Le Club anticipe un délai de six mois pour ouvrir les discussions avec les créanciers, mais estime qu’un accord final avec le FMI n’interviendra pas avant les élections législatives prévues à la mi-2026. Dans les marchés émergents, les restructurations depuis 2000 ont généré des rendements de sortie compris entre 9 % et 15 %. Pour le Liban, les analystes fixent un rendement plus réaliste à 14 %, compte tenu du contexte politique et financier.
On ne prête qu’aux riches
La restructuration elle-même dépend toutefois d’évolutions politiques encore très incertaines. « La hausse des prix des Eurobonds reflète davantage des dynamiques politiques que des fondamentaux économiques, et la stabilité est loin d’être garantie », souligne le Club des leaders. Tant que la dette n’est pas renégociée, aucun bailleur – FMI, États étrangers ou fonds internationaux – n’osera prêter au Liban. Un débiteur en défaut est considéré comme inéligible à tout nouveau financement tant que sa cote de risque n’est pas réévaluée. Et même dans ce cas, les prêts s’accompagnent de taux d’intérêt prohibitifs qui alourdissent le budget de l’État, entraînent de nouvelles taxes dans une économie en récession et aggravent les risques de stagflation.
À cela s’ajoutent la position du Liban sur la liste grise du GAFI pour blanchiment et financement du terrorisme, ainsi qu’une note médiocre de 25/100 en gouvernance. Dans ces conditions, espérer voir aboutir des conférences de soutien relève du mirage. Même si elles se tenaient, l’aide resterait conditionnée aux réformes – comme ce fut le cas lors de la conférence CEDRE en 2018, où 11 milliards de dollars de promesses n’ont jamais été déboursés faute d’application.
Aujourd’hui, le défi est plus ardu que jamais. La clé reste le traitement de la crise des Eurobonds. Sans retour à la table des négociations avec les créanciers et un accord crédible de restructuration, ces obligations suspendues continueront de représenter « l’éléphant au milieu de la salle de verre » de l’économie libanaise.
Prière de partager vos commentaires sur:
[email protected]