Le sommet arabe-islamique d’urgence tenu au Qatar, convoqué en réaction à la frappe israélienne sur Doha, n’avait pas seulement pour objet le Hamas. Il a marqué un moment de vérité : une occasion de réévaluer la dynamique régionale depuis l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » et même avant. Le Liban, pris dans cette tourmente, voit une fois de plus son avenir suspendu à une multitude de scénarios incertains.

Cette fois, le coup a visé le cœur du « camp modéré » : les États arabes normalisés – ou semi-normalisés – avec Israël et alliés de Washington et de l’Occident. L’objectif affiché par Israël pouvait être l’élimination de dirigeants du Hamas basés à Doha, ces mêmes émissaires qui négociaient indirectement via les États-Unis, le Qatar et l’Égypte. Mais la véritable cible était bien le Qatar lui-même.

Le très conservateur Jerusalem Post n’a pas tardé à publier un éditorial virulent, titré : « C’est fini. Israël vient de mettre fin au jeu du terrorisme et de l’hypocrisie du Qatar. » L’article accuse Doha de financer les mouvements islamistes dans le monde entier et appelle l’Occident à le traiter comme un État parrain du terrorisme. Ses recommandations étaient radicales : transférer les bases américaines du Qatar vers l’Égypte, enquêter sur les investissements qataris en Occident, sanctionner les entreprises de l’émirat et punir ses dirigeants « comme on punit les terroristes qu’ils ont financés ». Le texte prônait même l’exclusion du Qatar de la future reconstruction de Gaza, projet estimé à plusieurs milliards de dollars. Sa conclusion provocatrice : « Le monde va-t-il divorcer du Qatar demain ? Bien sûr que non. Mais Israël vient de le faire. »

Le message était limpide : le raid sur Doha visait autant à affaiblir le rôle régional du Qatar qu’à toucher le Hamas. Certains redoutent désormais qu’Israël n’ait ouvert un front parallèle, s’attaquant à des États arabes alliés de l’Occident tout en poursuivant la guerre contre l’« axe de la résistance » mené par l’Iran. Cela s’inscrit dans la grande vision du Premier ministre Benyamin Netanyahou : une « Grande Israël », une carte récemment dévoilée sans se soucier des protestations arabes ou internationales.

Cette carte audacieuse englobait le Liban, la Syrie, l’Irak, le Koweït, la Jordanie, le nord de l’Arabie saoudite et le Sinaï égyptien. Même si elle ne mentionnait pas explicitement le Qatar, l’attaque a fait craindre qu’elle ne soit le prélude au projet expansionniste de Netanyahou, visant peut-être l’Arabie saoudite. Riyad a conditionné toute normalisation avec Israël à la création d’un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale – une ligne rouge qu’Israël rejette catégoriquement.

Pour le Liban, figurant noir sur blanc sur la carte de la « Grande Israël », la menace est existentielle. Sa participation au sommet de Doha prenait donc une importance particulière. Le président Joseph Aoun a tiré la sonnette d’alarme, appelant à une solidarité arabe et islamique contre un projet israélien qui met en péril la sécurité régionale. Son message n’était pas qu’un discours : il esquissait une véritable feuille de route pour la survie du pays.

Beyrouth a formulé des demandes précises : la formation d’une force arabe et islamique pour obtenir un cessez-le-feu, le retrait des troupes israéliennes derrière la frontière et la relance de l’accord d’armistice de 1949 – sans passer par la paix ou la normalisation. Le Liban a également plaidé pour un soutien à la reconstruction afin de permettre aux habitants du Sud de rentrer chez eux et pour un renforcement de l’armée libanaise afin d’étendre l’autorité de l’État sur tout le territoire.

Le président Aoun a rappelé aux dirigeants présents les décisions du gouvernement pour garantir l’exclusivité des armes entre les mains de l’État, y compris les premières étapes du désarmement des factions palestiniennes dans les camps – une pierre angulaire d’un règlement politique interne couplé à des réformes susceptibles de rétablir la confiance arabe et internationale.

Ainsi, le sommet de Doha ne portait pas uniquement sur Gaza ou le Qatar : il posait la question de la façon dont la Ligue arabe et l’Organisation de la coopération islamique répondent à l’avancée territoriale d’Israël. L’État hébreu justifie ses incursions dans le Sud-Liban et en Syrie par la création de « zones tampons », tout en ravageant Gaza pour l’annexer à la Cisjordanie.

En définitive, l’enjeu de ce sommet est de savoir si les dirigeants arabes et musulmans passeront des déclarations aux actes – s’ils se tourneront vers Washington, seule puissance capable de freiner Israël, pour l’obliger à respecter les résolutions internationales et l’Initiative de paix arabe. Car sans pression américaine, la marche d’Israël vers une « Grande Israël » continuera sans entrave.