Alors que la direction politique libanaise – présidence et gouvernement réunis – avance dans ce qu’elle qualifie de « décision historique » visant à imposer le monopole des armes à l’État, une sous-commission parlementaire s’attaque discrètement à un autre dossier épineux : la loi qui régira les prochaines législatives prévues pour mai 2026. Certains réclament leur report, d’autres leur tenue à la date fixée. Le gouvernement, par la voix du ministre de l’Intérieur, a assuré que le scrutin se déroulerait « quelles que soient les circonstances ».
La longue saga des lois électorales au Liban
L’histoire du Liban avec ses lois électorales est complexe et sinueuse. Depuis 1960, la fameuse « loi de soixante » divisait le pays en circonscriptions et resta en vigueur jusqu’à l’Accord de Taëf de 1989, lorsque les députés élus en 1972 – ceux qui avaient survécu à la guerre civile – adoptèrent de plus larges circonscriptions dans le cadre d’une carte provinciale révisée.
De 1992 à 2000, chaque élection législative s’est tenue selon une loi différente, adaptée aux desiderata de la tutelle syrienne de l’époque. Même le scrutin de 2005, organisé après le retrait de l’armée syrienne, portait encore la marque de Damas et de son homme fort, Ghazi Kanaan.
Le « second indépendance » qui suivit ce retrait devait inaugurer une nouvelle ère : celle d’un État d’institutions reposant sur une loi électorale corrigeant réellement la représentation. Mais le débat ne fit que s’intensifier. Certains soutenaient que « plus la circonscription est petite, meilleure est la représentation ». D’autres prônaient « le Liban en une seule circonscription nationale », assorti du principe « hors cadre confessionnel », autrement dit un appel à la proportionnelle. Le fameux « Rassemblement orthodoxe » alla plus loin encore, proposant que chaque communauté élise ses propres députés – un projet qui faillit être adopté par le Parlement avant de buter sur des obstacles de dernière minute.
La loi actuelle sous la loupe
La loi électorale adoptée en 2017 – celle qui a encadré les scrutins de 2018 et de 2022 en introduisant la proportionnelle – fait aujourd’hui l’objet d’une révision. Sont particulièrement en débat : la mise en place de « méga-centres » pour faciliter le vote et l’attribution de six sièges aux députés de la diaspora. Deux sujets hautement controversés, toujours sans consensus.
Un retour aux sources revisité
Certains éléments du vieux système libanais pourraient pourtant inspirer l’avenir. Avant l’indépendance, deux blocs dominaient la scène : le Bloc constitutionnel de Béchara el-Khoury et le Bloc national d’Émile Eddé. Chacun rassemblait des candidats issus de différentes confessions et régions, et le vainqueur gouvernait.
Pourquoi ne pas réintroduire ce modèle, modernisé par la proportionnelle ? Les partis formeraient deux listes nationales – ou davantage. Chaque liste intégrerait des candidats de toutes les confessions et de toutes les régions, numérotés par communauté (par exemple de 1 à 34 pour les maronites, de 1 à 27 pour les chiites, et ainsi de suite). Les électeurs choisiraient une liste. Les sièges seraient ensuite répartis proportionnellement : si une liste recueille 60 % des voix, elle obtiendrait, par exemple, 20 ou 21 sièges maronites, les 13 ou 14 restants allant à l’autre liste. Le même principe s’appliquerait aux sunnites, aux chiites et aux autres communautés. On obtiendrait ainsi un Parlement reflétant fidèlement la composition confessionnelle du pays, tout en garantissant équité et proportionnalité.
Une proposition face à l’impasse
Je ne suis pas un expert électoral. Mais en l’absence de compromis au sein de la sous-commission, le Liban court le risque d’un nouvel épisode de bricolage législatif de dernière minute – un scénario récurrent à la veille de chaque scrutin. Le danger est de voir encore une loi expédiée à la hâte, avant de passer quatre années à en regretter les failles.
En attendant l’avènement d’un véritable État civil – où la compétence primera enfin sur les quotas confessionnels – ce modèle hybride pourrait aider le Liban à franchir sa prochaine épreuve électorale sans plonger plus avant dans les divisions. L’alternative ? La paralysie politique, les querelles sans fin, et un nouveau cycle de regrets.