Le Liban a accueilli cette semaine l’envoyé présidentiel français Jean-Yves Le Drian, chargé de préparer deux conférences internationales : l’une pour mobiliser un soutien à l’armée libanaise, l’autre pour obtenir un appui politique et financier à la relance économique et à la reconstruction du pays.
Mais l’arrivée de Le Drian a été éclipsée par la tempête politique à Paris. Le gouvernement de François Bayrou est tombé après un vote de défiance à l’Assemblée nationale, provoqué par un budget d’austérité 2026 visant à économiser 44 milliards d’euros. C’est le quatrième gouvernement à chuter durant le second mandat d’Emmanuel Macron, et le troisième depuis qu’il a convoqué des élections anticipées après la victoire de l’extrême droite aux européennes.
Macron n’a pas tardé à nommer le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, Premier ministre, en le chargeant de former un gouvernement de coalition capable de faire adopter un nouveau plan d’austérité. Mais Lecornu hérite de deux défis qui ont eu raison de ses prédécesseurs : construire une majorité stable dans une Assemblée fragmentée et convaincre les Français d’accepter la rigueur. Faute de quoi, la France risque de glisser dans une crise financière et politique difficile à réparer.
Un Parlement divisé, un gouvernement fragile
Le gouvernement Bayrou est tombé après le rejet d’un budget visant à réduire la dette publique de 44 milliards d’euros, alors que celle-ci atteint désormais 114 % du PIB. Le vote a révélé l’ampleur des fractures politiques : le Rassemblement national de Marine Le Pen a réclamé de nouvelles législatives ; Jean-Luc Mélenchon a appelé à la démission de Macron ; le Parti socialiste a revendiqué le droit de diriger le gouvernement après avoir dominé les dernières législatives ; et les Républicains ont refusé de rejoindre toute coalition conduite par la gauche.
Pressions économiques : dette record, croissance en berne
La crise de la dette est sans précédent :
- Mi-2025, la dette totale publique et privée atteignait 7,65 trillions d’euros (8,87 trillions de dollars), soit plus du double du PIB (2,9 trillions d’euros).
- La dette publique seule s’élevait à 3,346 trillions (115 % du PIB), contre 1,59 trillion en 2010 (82,4 %). Elle a donc doublé en 15 ans.
- Environ 900 milliards d’euros ont été ajoutés entre 2020 et mi-2025.
- Le service de la dette coûtera 62 milliards en 2025, avec une projection de 100 milliards d’ici 2029.
La croissance est atone : 0,6 % attendu en 2025, contre 0,8 % en 2024—l’un des taux les plus faibles d’Europe. Le secteur privé se contracte depuis 11 mois consécutifs, l’indice PMI composite tombant à 48,6 en juillet (sous 50 = contraction). L’industrie manufacturière est passée de 18,5 % du PIB en 2023 à 17,5 % en 2024, reflet d’un déclin industriel sous pression fiscale et manque d’investissement.
Colère sociale
Les tensions sociales montent. Un nouveau mouvement, « Fermons tout », soutenu par certains syndicats et la gauche radicale, a lancé des actions cette semaine. Le ministère de l’Intérieur a déployé 80 000 forces de sécurité pour encadrer des centaines de manifestations prévues.
La lassitude est palpable : 77 % des Français désapprouvent la gestion de Macron, dont la popularité est au plus bas depuis 2017. En 2023, la France a connu plus de 12 000 manifestations—soit une hausse de 18 % par rapport à 2022—avec une moyenne de 66 par mois, l’un des plus hauts niveaux en Europe.
Une menace pour la stabilité de l’UE
Macron rappelle souvent que la stabilité française conditionne celle de l’Europe. Deuxième économie de la zone euro, toute turbulence en France pèse sur la monnaie unique et sur la confiance des investisseurs.
Le rendement des obligations françaises à dix ans a rejoint celui des obligations italiennes—du jamais vu depuis 15 ans. Or, l’Italie était longtemps considérée comme le maillon faible de l’Europe en matière de dette publique.
L’affaiblissement de la France réduit aussi son influence au sein de l’UE. Les divergences sur le nucléaire, la dépendance aux États-Unis et le modèle social français isolent Paris. L’axe franco-allemand, pilier historique de l’Union, s’essouffle : l’Allemagne attend à peine 1 % de croissance en 2026, la France doit imposer l’austérité, et les différends sur la politique budgétaire et commerciale persistent.
La diplomatie affaiblie par la crise interne
La tourmente intérieure pourrait contraindre le nouveau gouvernement à réduire son implication extérieure, y compris envers l’Ukraine et le Liban. Avec l’explosion du coût de la dette, la capacité de la France à fournir une aide financière se réduit.
Paris tentera néanmoins de préserver son rôle traditionnel en Europe et au Moyen-Orient, surtout après ses reculs en Afrique. Mais ses moyens limités affaibliront sa capacité d’action.
Un test existentiel pour le modèle français
Après l’échec du plan de Gabriel Attal, l’impuissance de Michel Barnier et la chute de Bayrou, Sébastien Lecornu, 39 ans, devra accomplir un quasi-miracle pour concilier les contradictions françaises, redresser l’économie et préserver le modèle social.
Un retour à la stabilité ne viendra qu’avec de nouvelles législatives capables de dégager une majorité claire. Faute de quoi, la place de la France s’érodera, à l’intérieur comme à l’extérieur.