Xavier HORENT est le Délégué Général de MOBILIANS (*).
Le marché de l’automobile en France ne cesse de reculer. Ce secteur traverse-t-il une tempête ou sa survie est-elle enjeu ?
Ce n’est pas une tempête mais un tsunami qui peut tout balayer. Face au défi existentiel d’une pressante réinvention globale, aucune position n’est acquise. Les avertissements réitérés de nos capitaines d’industrie sont parfaitement clairs au cours des récentes auditions du Parlement ou la Cour des Comptes. Nous sommes à la 25ème heure. La lucidité est la seule manière d’être à la hauteur de notre héritage pour s’emparer de l’avenir en capitalisant sur nos actifs stratégiques. Ils sont nombreux mais hautement challengés et vulnérables.
La pérennité économique et la stabilité sociale sont exposées à un marché en décrochage d’un tiers depuis 2019. Avec 1,6 million de véhicules neufs immatriculés en point de mire pour 2025, le marché est en mode « stop drive », à la 4ème place des contre-performances depuis 50 ans. La France est à contre-sens de ses partenaires, comme en Italie qui vient de dépasser, pour la première fois, le volume de nos immatriculations.L’État ne joue plus son rôle de réducteur d’incertitudes : il les accroît en multipliant les réglementations et les pertes.
Pourquoi les automobilistes boudent-ils l’achat de voitures électriques ?
Le problème est plus large. Par dogmatisme, on a voulu décider à la place du consommateur, perdu dans des injonctions contradictoires et ultra-complexes. La batterie n’est pas perçue comme une technologie mature et fait l’objet de contre-vérités objectivement difficiles à lever. Résultat : les Français arbitrent en faveur des véhicules d’occasion, notamment de plus de 10 ans. La réussite de la transition énergétique dépend de sa soutenabilité économique et de son acceptabilité sociale. On ne fait pas de bonne politique sans respecter les réalités du consommateur et des acteurs de la filière, ni celles de la géopolitique.
Les nouvelles taxes américaines sur l’Europe pourraient-elles être l’un des derniers clous dans le cercueil de ce secteur ?
C’est un clou de plus sur un secteur au bord du diagnostic vital. L'Europe a exporté 881.000 voitures aux États-Unis en 2024 - dont la moitié par l’Allemagne. L’accord de juillet établit un tarif douanier de 15 %, ce qui tempère les menaces de hausses plus élevées, mais il reste très supérieur au taux antérieur de 2,5 %. Cette taxe pourrait entraîner une perte d'exportations comprise entre 2 et 8 milliards d'euros, avec une baisse potentielle des volumes exportés de l'ordre de 5 à 8 %,. Elle impacte l'ensemble de l'écosystème européen à des degrés divers. Il est aisé de constater de quel côté de l’Atlantique les investissements et la réindustrialisation affluent.
Comment sortir de cette situation ?
Il faut une convergence de volonté politique et industrielle, polarisée sur les conditions d’une transformation extrêmement exigeante pour recréer durablement de la valeur et de l’emploi. Relever ce défi est très difficile mais il ne faut pas se complaire dans le fatalisme. Nous sommes capables de revenir dans la course en réglant nos problèmes de compétitivité. Ceux qui croient que l’automobile est une industrie du passé se trompent, c’est l’un des secteurs qui concentre le plus d’investissements dans le monde.
La concurrence chinoise écrase tout sur son passage. Le secteur allemand peut-il mieux résister ?
Premier producteur et exportateur, la Chine est devenue en moins d’une génération un puissant pôle d’attraction. Un nouveau lifestyle y émerge avec des profils d’acheteurs jeunes. On n’y conçoit donc pas les mêmes types de véhicules. En fait, la Chine nous rappelle combien la puissance se construit patiemment. Elle exerce une pression implacable, et le secteur allemand - dominant mais exposé -montre en effet des signes de vulnérabilité avec une érosion rapide de ses avantages. Alors que ses exportations ont chuté de près de 70 % en Chine depuis 2022, des marques comme BYD, NIO et XPeng ont doublé leurs parts de marché en Europe, dépassant la barre des 5 %,.
Les plans sociaux annoncés illustrent la tragédie de cette situation des deux côtés du Rhin, et la ligne Maginot des droits de douane européens est perméable : les véhicules hybrides sont exemptés de taxes additionnelles et les constructeurs chinois s’implantent en Europe centrale. Au total, les facteurs de coopération devront l’emporter sur les logiques de tension.
Pourquoi les constructeurs chinois ont-ils, avant tous les autres, accordé autant de place à l’IA ?
Cette avance tangible a été planifiée comme un objectif stratégique : le plan "Made in China 2025" - lancé en 2015 - avait en effet priorisé l’IA et l'électromobilité, stimulant une innovation accélérée au moyen de subventions massives. Sur un marché intérieur hyper-compétitif, l’IA est un facteur de différenciation, favorisant une synergie hardware-software unique, contrairement à une approche plus fragmentée notamment en Europe.
Les constructeurs chinois ont réinventé l’automobile ! Un smart-phone avec quatre roues !
L'abondance des téraoctets de données collectées en Chine permet d’entraîner des modèles de manière très dynamique, tout en servant une vision holistique : l’IA est un outil de domination des marchés émergents comme les robotaxis avec des flottes autonomes déjà testées à grande échelle. Dans cette compétition de haute intensité entre San Francisco et Shenzhen, l’Europe est distancée alors que le véhicule autonome dopé à l’IA préfigure un changement radical de paradigme dans « l’auto-mobile ».
Beaucoup de métiers sont regroupés chez Mobilians. Quels impacts pour tous ces métiers ?
Avec 180.000 entreprises et 500.000 actifs dans les services de l’automobile, MOBILIANS incarne un écosystème dense et résilient,ouvert aux transformations. Nous avons contribué à lever 250 millions d’euros de fonds par notre incubateur de startups à Station F - le « moovelab » -, et la Branche a investi près de 100 millions d’euros sur la formation. Innover et former, c’est transformer : nos 25 métiers, sans exception, seront impactés dans leurs modèles économiques, leurs équipements et leurs qualifications. Le défi est de maintenir un niveau étendu de compétences, capables d’inventer un portefeuille de services adaptés aux usages et aux infrastructures du futur. D’autres métiers vont donc émerger et l’hyper-technologisation impliquera des compétences de pointe qu’il faudra rémunérer et des rentabilités solides. Les fenêtres d’opportunités seront plus ouvertes qu’on ne l’imagine.
(*) MOBILIANS, (ex CNPA) une organisation professionnelle qui représente les 20 métiers de la distribution et des services de l'automobile, du véhicule industriel, des cycles et motocycles en France : Agents de marques & Mécaniciens indépendants. Carrossiers. Centres de Contrôle Technique.