Dans ce second et dernier volet, nous poursuivons l’examen critique du projet de budget 2026 avec Amin Saleh, ancien président de l’Association des experts-comptables agréés du Liban et ancien directeur du Trésor au ministère des Finances. Dans la première partie, nous avions souligné à quel point le budget regorgeait de taxes et de redevances visant les particuliers et les entreprises, ainsi que de pénalités accrues sur les retards de paiement, alors même que le ministère des Finances annule souvent ces amendes par décrets ministériels.
Plonger dans le budget 2026 revient à pénétrer dans une grotte obscure : à chaque page, de nouvelles surprises surgissent, des détails inimaginables dans une phase qui devrait pourtant être consacrée aux réformes économiques et financières.
Ce qui frappe le plus, c’est le déséquilibre flagrant de la fiscalité. Les recettes de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, des professions commerciales et des revenus du capital devraient chuter de 62 %, tandis que celles sur les salaires et traitements augmenteraient de 138 %. Selon les estimations du ministère des Finances, l’impôt sur le revenu payé par les travailleurs et les employés atteindra en 2026 environ 225,4 millions de dollars. En revanche, les sociétés, professions libérales, actionnaires et investisseurs ne paieront que 140,2 millions de dollars. Le projet de budget ne prévoit par ailleurs aucune taxe sur les biens maritimes publics, pourtant très lucratifs. « La justice sociale dans un budget réside dans la capacité à redistribuer équitablement la richesse et les revenus », souligne Saleh. « Le budget 2026 atteint-il cet objectif ? »
Le gouvernement a réaffirmé hier sa décision de retirer les armes des mains des acteurs non étatiques et a chargé l’armée de se déployer au nord et au sud du Litani pour préserver la sécurité et la souveraineté. Pourtant, depuis 2015, l’État n’a jamais débloqué les fonds destinés à équiper les forces armées – un montant fixé par la loi à 1 350 milliards de livres libanaises au taux de 1 500, soit environ 900 millions de dollars. Ces crédits sont reportés d’année en année depuis une décennie. Comment, dès lors, répondre aux nouvelles exigences sécuritaires, accompagner le retrait israélien et soutenir l’armée sans prévoir ces allocations ?
Autre fait marquant : l’absence totale de dépenses sérieuses pour la reconstruction, notamment dans les infrastructures – routes, ponts, terres agricoles, réseaux d’eau et d’électricité. Saleh interpelle directement le ministre des Finances Yassine Jaber : « N’allez-vous pas à Nabatiyé ? Ne voyez-vous pas l’ampleur des destructions dans son marché historique et dans tout le Sud ? » Si l’État se désengage, qui prendra en charge la reconstruction ? Et si l’on compte sur l’aide internationale, où est-elle ? Atteindra-t-elle les 7 milliards de dollars nécessaires pour couvrir les dommages ? Et même si ces fonds arrivaient, seraient-ils des dons ou des prêts, comme ce prêt de 250 millions de dollars placé en première tranche dans le fonds de reconstruction ? Le Liban peut-il supporter de telles dettes ? Et qui les remboursera ? Le budget reste muet.
Le budget n’alloue que 40 millions de dollars aux infrastructures, un montant bien inférieur au coût du simple déblaiement des gravats, sans parler de la réhabilitation des réseaux d’eau, d’électricité, de télécommunications et des routes détruites. Plus inquiétant encore, les dépenses de fonctionnement des ministères – mobilier, équipements et fournitures – dépassent les crédits destinés aux infrastructures.
Qu’en est-il de la lutte contre la corruption, l’évasion fiscale, la contrebande douanière et la collecte des redevances liées aux carrières, aux biens maritimes et fluviaux, ainsi qu’à d’autres sources de gaspillage ? Saleh est catégorique : « Tout cela est absent du budget 2026, comme cela l’était dans les précédents. » Hormis une hausse attendue des recettes douanières grâce au relèvement du taux de change du dollar douanier et à un peu plus de rigueur, les revenus tirés des biens publics, des carrières, des infractions immobilières, des concessions exclusives et des excédents des entreprises publiques comme le Casino du Liban, la Régie des tabacs ou la Middle East Airlines restent très inférieurs au potentiel réel.
Les télécommunications, jadis une véritable manne pour le Trésor, se sont effondrées. Dans leurs premières années, elles représentaient un tiers des recettes publiques. Aujourd’hui, elles n’en constituent plus qu’une part infime.
Le budget passe également sous silence les recettes exceptionnelles, telles que les prêts déjà conclus avec les partenaires internationaux. Saleh soupçonne le calcul : « Peut-être veut-on présenter un budget équilibré aux yeux des institutions internationales, notamment le FMI, qui considère l’élimination du déficit comme une condition préalable. »
Des informations évoquent une nouvelle orientation au sein du ministère des Finances. Saleh pose la question finale : « Est-ce vraiment la voie espérée ? » Sa réponse est sans équivoque : « Nous leur avons pardonné l’absence de clôture des comptes, le défaut de soumettre les bilans, le renoncement à publier les tableaux de recouvrement. Mais accepter aujourd’hui un budget introduit en catimini et falsifié, c’est ce que ni nous, ni les instances internationales, accepterons jamais. »