Un tatouage du mot « Liban » sur l’avant-bras de l’ambassadrice américaine Lisa Johnson suffit-il à exprimer son attachement profond au pays où elle a servi pendant trois années difficiles ? Alors qu’elle s’apprête à quitter son poste et que le diplomate américano-libanais Michel Issa s’apprête à lui succéder, ce tatouage symbolique peut-il vraiment refléter la politique de Washington envers le Liban ?
Johnson a déclaré : « Le Liban restera avec moi aussi longtemps que ce tatouage durera. » Mais quelques jours plus tôt, l’envoyé spécial américain Tom Barrack lançait un avertissement bien plus ferme — quoique formulé diplomatiquement : le Liban, disait-il, risquait de devenir « une partie du Grand Syrie » s’il ne se conformait pas aux exigences américaines, au premier rang desquelles figure le désarmement du Hezbollah.
Alors que je rédigeais cet article sur les résultats de la troisième mission de Barack à Beyrouth, une autre nouvelle m’est parvenue : la mort de Hulk Hogan, légende du catch américain, figure démesurée devenue emblème non seulement d’un sport, mais de toute une culture populaire américaine.
Quel rapport avec la politique américaine au Liban ? Absolument tout.
J’avais exceptionnellement deux jours de congé. L’occasion de réfléchir à l’humanité, à la politique, et à cette question lancinante : pourquoi le Liban est-il condamné à naître et renaître dans le danger ? Qu’a-t-il fait pour se retrouver au cœur d’une région rongée depuis toujours par les conflits confessionnels, tribaux et politiques ? Ces luttes éclatent sur son minuscule territoire comme si ce pays n’était autre qu’un ring de catch.
Pourquoi cette grande puissance mondiale — née dans la douleur et la révolution, et auteure des principes démocratiques modernes — trahit-elle aujourd’hui les doctrines qu’elle a elle-même instaurées, comme le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes défendu par le président Woodrow Wilson ?
Je zappais distraitement d’une chaîne télévisée à l’autre, jusqu’à tomber sur un match de catch professionnel américain. Je l’ai regardé non comme un fan, mais comme un analyste. Et soudain, tout s’est éclairé. Voici, résumé en un spectacle, la politique étrangère des États-Unis.
Une arène gigantesque remplie de dizaines de milliers de spectateurs, de tous âges, toutes couleurs et toutes classes. Des catcheurs bodybuildés en costumes extravagants. Lumières, effets sonores, accessoires démesurés — le tout servi dans une mise en scène hollywoodienne. Parfois même, des personnalités comme Donald Trump ou Muhammad Ali sont intégrées au scénario.
Le combat commence. Deux catcheurs entrent sur le ring, un arbitre les accompagne. Ils transgressent toutes les règles possibles : chaises fracassées, intrusions de tiers, destruction des tables de juges. L’arbitre, stoïque, ne bronche pas — sauf si l’un des combattants attrape les cordes. Là, soudain, les règles s’appliquent.
Le catch perd alors toute légitimité sportive pour devenir un pur spectacle scénarisé, exagéré, et entièrement motivé par le profit.
Ça vous rappelle quelque chose ?
L’Amérique tolère ces « infractions » sur les rings comme sur les scènes diplomatiques, tant qu’elles servent ses intérêts. Mais dès qu’un adversaire « touche les cordes » — ose remettre en question son autorité — elle intervient au nom du droit et de l’ordre.
Cette nation puissante et innovante, malgré ses valeurs démocratiques, s’affranchit souvent de sa propre boussole morale en appliquant ses politiques, chez elle comme à l’étranger. Elle traîne aujourd’hui un lourd passif de revers économiques et diplomatiques, flirte avec la faillite, incapable de remporter une victoire décisive ni en Irak, ni en Afghanistan, ni dans sa prétendue guerre permanente contre le terrorisme. Elle tente en vain de redessiner la carte du monde à son image — lançant des concepts comme le « nouveau Moyen-Orient » — avant de s’enliser dans ses propres contradictions.
Ne manque à cette fresque impériale que le président américain siégeant au centre de l’arène, tel un César romain. Mais ce César moderne est toujours occupé : soit à briguer sa réélection à coups de coups d’éclat orchestrés par son entourage, soit à préparer l’arrivée de son successeur, qu’il soit de la « Team Éléphant » ou de la « Team Âne ».
Pendant ce temps, au Liban, certains croient encore que les révolutions arabes et les recompositions régionales récentes joueront en leur faveur. Ils rêvent de s’emparer du pouvoir, convaincus que tous les chemins mènent à leur vision stratégique. Allongés, passifs, ils se contentent de quelques déclarations ou d’un tweet sur X.
D’autres attendent des solutions made in USA, mises en œuvre peut-être par la France, pendant que d’autres puissances internationales interviennent ici et là. Mais les attaques israéliennes, elles, ne se sont jamais vraiment arrêtées — malgré le cessez-le-feu officiel. Et voici que Barack arrive, parle, puis repart, laissant derrière lui une brume d’incertitude.
Il déclare : « Je ne connais pas les garanties que vous me demandez. Mais nous ne pouvons pas forcer Israël à faire quoi que ce soit. C’est à vous — à votre gouvernement et à votre peuple — de parvenir à un consensus, de comprendre la nécessité d’un dialogue et d’une paix avec vos voisins, si vous souhaitez une vie meilleure. »
Traduction : les États-Unis vous ont amenés au pouvoir sur la base de votre adhésion à leur projet — y compris celui concernant le Liban. Mais sur la question des armes, vous jouez encore le facteur temps, vous réfugiant derrière des excuses locales. Je m’en lave les mains, semble dire Barack — à la manière de Ponce Pilate — du sort du Liban. Vous avez ouvert vos frontières aux tempêtes israéliennes et n’avez franchi aucun pas concret vers la paix.
Je suis venu une première fois. Puis une deuxième. Et maintenant une troisième. Ça suffit.
Voilà comment j’interprète la position de Barack. Malgré ses origines libanaises et sa citoyenneté retrouvée, il a fait abstraction des équilibres fragiles et des peurs existentielles qui traversent le Liban. Si rien ne change, ce pays pourrait bien disparaître — ne subsistant que comme tatouage sur l’avant-bras d’une ambassadrice.
A Dieu ne plaise ….
Et paix à l’âme de Hulk Hogan.