Pour le Liban, les presque deux semaines d’affrontements entre Israël et l’Iran ont semblé durer une éternité. Le vieil adage — « Si Istanbul est enceinte, Beyrouth accouche » — s’est à nouveau vérifié, illustrant combien la stabilité interne du pays est fragile et combien il est vulnérable aux bouleversements régionaux, surtout lorsque son propre ciel devient un théâtre d’opérations, comme ce fut récemment le cas.
Le secteur touristique libanais, las des prévisions et des scénarios hypothétiques, a retenu son souffle. Il s’est préparé au pire, attendant fébrilement la fin de la longue nuit moyen-orientale, espérant sauver ce qui semblait être un été 2025 prometteur — jusqu’au 13 juin.
La guerre, qui s’est terminée aussi soudainement et de manière aussi inattendue qu’elle avait commencé, a frappé de plein fouet une industrie touristique encore convalescente. Depuis mai, le secteur montrait des signes de reprise, avec des réservations en nette hausse après l’Aïd al-Adha. Mais à la mi-juin, tout a basculé. Le taux d’occupation des hôtels de Beyrouth est passé de 85 % à environ 30 %. Les compagnies de location de voitures à l’aéroport ont vu le trafic s’inverser : touristes et expatriés sont repartis précipitamment. Les restaurants se sont vidés, et les rues commerçantes autrefois animées — comme Hamra, les souks de Byblos, les stations balnéaires de Batroun et ses clubs — ont perdu leur effervescence.
La saison estivale peut-elle encore être sauvée ?
Ce qui marque le plus, c’est la résilience dont ont fait preuve le Liban et ses visiteurs, en particulier les expatriés, face aux crises. Même les frappes israéliennes sur la banlieue sud de Beyrouth le 5 juin n’ont pas significativement affecté les réservations ou la fréquentation touristique. Cela alimente l’espoir que, la guerre israélo-iranienne n’ayant pas duré, le Liban puisse relancer sa saison estivale.
Selon Najib Nehmeh, consultant en tourisme et hôtellerie, le principal facteur d’annulation n’était pas la peur, mais les complications logistiques. « La fermeture temporaire de l’espace aérien lors des échanges de frappes a perturbé les vols, et le nombre limité de compagnies opérant à Beyrouth — principalement Middle East Airlines, Kuwait Airways et Qatar Airways — a entraîné de nombreux retards », explique-t-il.
Il précise que les annulations ont surtout touché la fin juin et partiellement la première semaine de juillet. Les réservations pour août, elles, sont restées en grande partie inchangées, ce qui témoigne d’une réelle volonté de retour des touristes et expatriés, dans l’attente de plus de clarté. Les politiques d’annulation flexibles des hôtels jouent aussi en faveur de cette reprise, permettant l’annulation sans frais jusqu’à 48 heures avant l’arrivée, avec remboursement complet des acomptes.
Les réformes internes, une priorité incontournable
Relancer la saison touristique interrompue par la guerre est redevenu une priorité pour les acteurs du secteur, malgré les obstacles internes persistants. Parmi eux, selon Nehmeh : la hausse des taxes, les coûts d’exploitation élevés, et l’incapacité de nombreuses entreprises à compenser les pertes accumulées depuis la guerre israélienne de 2023-2024.
Autre problème : la durée moyenne des séjours a diminué — entre 3 et 4 jours dans les complexes de loisirs, à peine deux jours dans les hôtels d’affaires. Le secteur hôtelier souffre également d’un désengagement des investisseurs, découragés par les coûts, la bureaucratie, la lenteur administrative et la corruption omniprésente. « Si un investisseur ne peut même pas obtenir un permis de conduire sans pot-de-vin, que dire des démarches d’investissement plus complexes ? », observe Nehmeh. Sans période de stabilité politique et sécuritaire, accompagnée de réformes économiques et financières structurelles, « le Liban ne connaîtra pas de nouvelles vagues d’investissement touristique ».
Des services accélérés comme solution temporaire
Une solution immédiate pourrait être l’introduction de services accélérés pour les démarches administratives, moyennant un tarif plus élevé — à l’image du service rapide adopté par la Sûreté générale pour les passeports. Ce système, selon Nehmeh, permettrait d’éviter les pots-de-vin et d’obtenir des services de manière légale. Toutefois, il insiste sur la nécessité d’une gestion transparente pour éviter que ce système ne ralentisse davantage les services classiques et n’aggrave la pression sur les administrations.
L’espoir dans les restaurants
Du côté de la restauration, l’optimisme persiste. « Un nuage noir a traversé la région, mais il n’a pas occulté le soleil de l’été ni l’élan du secteur touristique libanais », a déclaré Tony Ramy, président du syndicat des propriétaires de restaurants, cafés, boîtes de nuit et pâtisseries du Liban.
Dans un communiqué, il a affirmé que le secteur est prêt à accueillir l’été avec enthousiasme et espoir. Il a aussi souligné l’importance de ne pas manquer cette « occasion décisive » pour reconstruire l’État et entamer les réformes nécessaires sur les plans financier, économique et social. Le Liban, selon lui, ne pourra retrouver son rôle qu’en combinant stabilité politique et sécurité. Et avec une concurrence croissante dans le monde arabe, notamment dans les secteurs touristique et énergétique, « nous devons agir, nous organiser et nous ouvrir, afin de bâtir un tourisme durable qui replacera le Liban sur la carte régionale du tourisme ».
Ce qui distingue encore le Liban malgré toutes ses crises, c’est l’initiative individuelle. Si les entreprises résistent et se relèvent rapidement après les chocs, c’est grâce à la foi de leurs propriétaires en leur pays et à leur volonté de surmonter toutes les épreuves. Comme le résume Tony Ramy : « Nous sommes ceux qui attirons les touristes. Nous sommes la joie des expatriés qui retrouvent leur famille. Nous sommes leur grande famille. De beaux jours nous attendent. »