L’économie libanaise a dévié de sa trajectoire déjà semée d’« ornières et de nids-de-poule » à l’automne 2019, pour sombrer dans la « vallée » de l’effondrement. Selon le Lebanon Economic Monitor de printemps 2025, publié périodiquement par la Banque mondiale, l’économie a depuis perdu 40 % de sa taille. Six ans plus tard, « les perspectives économiques restent limitées par la fragilité de la stabilité politique et sécuritaire », indique le rapport. Parallèlement, la crise financière, toujours non résolue, continue de bloquer les flux de capitaux importants et les investissements privés.
Dans sa forme, le dernier rapport de la Banque mondiale adopte un ton légèrement plus modéré et admoniteur que les éditions précédentes. Son titre pose une question cruciale : « Le cap est-il en train de changer ? » Pourtant, le fond demeure sévère : « les perspectives économiques restent prisonnières d’une stabilité politique et sécuritaire fragile », tandis que les finances publiques restent soumises à de fortes pressions et qu’« il est urgent d’engager des réformes structurelles plus vastes pour assurer une viabilité à long terme ».
Face à cette réalité, le rapport consacre un chapitre spécial à un plan d’action politique complet sur un an, qui rassemble les principales leçons tirées des programmes, projets et dialogues politiques de la Banque mondiale au Liban au fil des années.
Une longue histoire d’avertissements
Comme le dit le proverbe : « Il ne faut regarder le passé que pour en tirer des leçons ou de l’expérience ». Il semble que les dirigeants libanais n’aient fait ni l’un ni l’autre, du moins depuis 2019. Un simple coup d’œil aux rapports Lebanon Economic Monitor de la Banque mondiale — publiés deux fois par an, au printemps et en automne — révèle comment les responsables ont géré la crise, pourquoi le Liban n’a pas su en sortir rapidement, et comment le pays a atteint ce niveau de dysfonctionnement et de fragmentation.
Automne 2020 : « La dépression délibérée » — décrivait comment l’arrêt soudain des flux de capitaux a provoqué des défaillances systémiques dans le secteur bancaire, la dette et le taux de change.
Printemps 2021 : « Le Liban sombre : vers l’une des pires crises mondiales dans un contexte d’inaction délibérée »
Automne 2021 : « Le grand déni » — soutenait que la dépression était auto-infligée, imposée aux citoyens par une élite qui avait capturé l’État et monopolisé ses rentes économiques, poursuivant sa domination malgré la gravité de la crise.
Automne 2022 : « Il est temps de restructurer équitablement le secteur bancaire » — soulignait les obstacles à une solution globale, notamment les dissensions entre parties prenantes sur la répartition des pertes massives du secteur financier.
Printemps 2023 : « La normalisation de la crise n’est pas une voie vers la stabilité » — examinait la poursuite du déclin économique dans un contexte de banalisation de la crise, éloignant encore plus le Liban de la stabilité et de la reprise.
Automne 2023 : « Sous l’emprise d’une nouvelle crise » — analysait l’impact économique du conflit avec Israël et ses répercussions sur les perspectives de croissance dans un vide politique et institutionnel prolongé.
Automne 2024 : « Fardeaux croissants sur un pays épuisé par les crises » — s’intéressait aux évolutions économiques majeures et à leurs implications, avec un accent sur l’impact du conflit sur la consommation et les exportations nettes, notamment les recettes touristiques, pilier de l’économie, après l’escalade majeure de mi-septembre 2024.
Un statu quo persistant
Le rapport 2025 ne marque ni renouveau ni réforme notable. Malgré la fin du vide politique et la volonté affichée du nouveau gouvernement de lancer des réformes, les intérêts privés continuent de primer sur l’intérêt général. La crise bancaire reste irrésolue, la situation sécuritaire demeure précaire, et les réformes structurelles des secteurs public et bancaire n’ont pas vu le jour. La stabilité monétaire reste soumise aux pressions budgétaires, malgré l’aggravation des besoins sociaux. Le secteur extérieur subit toujours de fortes tensions, avec un déficit du compte courant attendu à 15,3 % du PIB cette année. Les estimations des soldes extérieurs restent imprécises en raison du poids de l’économie informelle et des transactions en espèces.
S’appuyer sur les éléments positifs
La Banque mondiale relève toutefois certains éléments positifs sur lesquels il serait possible de bâtir :
- Une croissance réelle du PIB attendue à 4,7 %, soutenue par les réformes envisagées, la reprise du tourisme, la hausse de la consommation et des flux de capitaux limités.
- Un recul de l’inflation attendu à 15,2 %, sous réserve de la stabilité du taux de change et du reflux de l’inflation mondiale.
- La poursuite de l’amélioration des finances publiques grâce à une hausse des recettes et à l’adoption d’un budget 2025 équilibré par décret.
- Une marge accrue pour les dépenses publiques, notamment dans les services essentiels et les investissements capitaux nécessaires.
Un plan sur un an
Dans ce contexte, et afin de tirer parti des progrès réalisés, la Banque mondiale a tracé une feuille de route pour le Liban, visant quatre priorités à atteindre en un an :
- Stopper la détérioration financière et économique et identifier les leviers de croissance.
- Renforcer la protection sociale.
- Lutter contre le gaspillage, le détournement des ressources et la corruption.
- Préparer une loi électorale parlementaire équitable.
Les mesures proposées visent à rétablir la stabilité macroéconomique et financière, à restaurer la confiance des citoyens et à jeter les bases d’un nouveau modèle de développement plus réussi.