Les politiques budgétaire et monétaire actuellement menées par le Liban semblent avoir reçu l’approbation des acteurs internationaux, au premier rang desquels le Fonds monétaire international (FMI). D’après les déclarations publiées à l’issue d’une semaine de discussions entre la mission du FMI et les autorités libanaises autour d’un « programme global de réformes économiques », un accord pourrait être conclu d’ici la fin de l’année. L’approche du nouveau gouvernement semble nettement différente de celle de son prédécesseur, et bon nombre des réformes jadis exigées par le FMI se sont, entre-temps, imposées de fait, rendant inutile toute nouvelle négociation à leur sujet.

Mais une question demeure : le Liban – et surtout ses citoyens les plus vulnérables – verra-t-il réellement une amélioration de sa situation à travers cet accord, au vu des méthodes de gouvernance actuelles ?

Trois signaux inquiétants

Trois développements récents soulèvent de sérieuses interrogations :

Premièrement, le gouvernement a décidé de financer les augmentations salariales des militaires en imposant une taxe d’un dollar sur chaque bidon d’essence et de deux dollars sur le diesel – une mesure saluée par le FMI. Le Fonds considère en effet que les prix du carburant au Liban sont extrêmement bas par rapport aux normes internationales, ce qui favorise une consommation excessive de carburant importé, creusant un déficit commercial qui coûte plus de 4 milliards de dollars par an et affecte négativement la balance des paiements.

Deuxièmement, le FMI a validé la stratégie gouvernementale de constitution d’un excédent financier de plus de 7 milliards de dollars déposés à la Banque centrale. Le Fonds estime que ces réserves ont contribué à stabiliser le taux de change et à contenir l’inflation, et qu’elles pourraient être utilisées dans le cadre d’une restructuration de la dette ou pour assurer la soutenabilité budgétaire.

Troisièmement, le FMI a fait passer un message clair : aucun nouveau poste de dépense publique ne sera accepté sans source de financement correspondante, et l’impression monétaire pour combler les déficits est désormais formellement interdite, quelles que soient les circonstances.

Des exigences légitimes, mais des intentions douteuses

Beaucoup craignent que les autorités libanaises n’utilisent les exigences légitimes du FMI comme prétexte pour adopter des politiques contestables. Dans un pays où les élites politiques et économiques sont profondément imbriquées, il est largement admis qu’aucune réforme sérieuse ne verra le jour sans pression externe forte, en l’occurrence celle du FMI.

Sans cette pression, les responsables risquent de vider de leur substance les mesures de redressement ou de contourner les lois financières. Certains redoutent aussi que le gouvernement ne s’engage sur une voie machiavélique, justifiant les moyens par les fins, tandis que le FMI détournerait le regard.

Il est vrai que la surconsommation de carburant au Liban constitue un problème — mais ce n’est pas un luxe. En l’absence d’électricité fiable et de transports publics, les citoyens dépendent de générateurs privés fonctionnant au diesel. Selon Information International, on dénombre environ 11 000 grands générateurs à travers le pays, dont 3 600 alimentent directement les foyers et entreprises. Les voitures privées – souvent gourmandes en carburant et engluées dans les embouteillages – restent le seul moyen de transport viable pour la majorité de la population. 

Ainsi, les taxes sur les carburants frappent de plein fouet les familles à faibles et moyens revenus. Il s’agit de taxes indirectes qui s’appliquent à tous, mais dont l’impact est disproportionné sur les plus pauvres, pour qui le carburant représente une part bien plus importante du budget.

Austérité budgétaire… et contradictions

La performance budgétaire récente du Liban a surpris positivement le FMI. Durant les cinq premiers mois de 2025, les dépôts du secteur public à la Banque centrale ont bondi de 47,54 %, atteignant 7,04 milliards de dollars fin mai, contre seulement 2 milliards en décembre 2023 — soit une hausse de 5 milliards en moins d’un an et demi.

Ces dépôts comprennent les recettes fiscales et les frais collectés par le ministère des Finances ainsi que par d’autres institutions publiques à budget indépendant, telles que le Port de Beyrouth, la Caisse nationale de sécurité sociale, les autorités de l’eau et les municipalités.

Cette hausse s’explique par trois facteurs principaux :

- La revalorisation comptable des « lollars » (dollars bancaires) en livres libanaises, au taux officiel de 89 500 LBP/USD ;

- La perception de certains frais en dollars américains en espèces, d’autres en livres au nouveau taux ;

- La mise en œuvre d’une austérité extrême, réduisant presque à néant les dépenses d’investissement dans les budgets 2024 et 2025.

Si ces politiques ont effectivement contribué à stabiliser la monnaie, à contenir l’inflation et à mettre fin au financement des dépenses publiques par la planche à billets, elles s’accompagnent aussi de décisions controversées : gel des indemnisations pour les victimes des attaques israéliennes (plus de 7 milliards de dollars de dommages), triplement du taux de pauvreté en dix ans (selon la Banque mondiale), effondrement des salaires et avantages du secteur public.

Les recommandations de la mission du FMI

À l’issue de sa visite au Liban du 28 mai au 5 juin, la mission du FMI – dirigée par Ernesto Ramirez Rigo – a rappelé la nécessité d’une « stratégie audacieuse à moyen terme » visant à mobiliser les recettes, rationaliser les dépenses, accroître la transparence financière, améliorer la gestion des finances publiques et ouvrir la voie à un renforcement de la protection sociale et des investissements en capital.

Dans le cadre des discussions sur le budget 2026, la mission a insisté sur l’importance d’un cadre budgétaire à moyen terme, de la restructuration des Eurobonds pour restaurer la viabilité de la dette, et a souligné que, compte tenu des immenses besoins de reconstruction du pays, l’agenda de réformes nécessitera un appui important de partenaires extérieurs, de préférence à des conditions très avantageuses.

Elle a également appelé à une refonte du système bancaire, à une sortie progressive de l’économie fondée sur les paiements en espèces, à une relance du crédit au secteur privé, et à l’adoption de lois clés en matière de réformes fiscales et monétaires.

Deux questions auxquelles le FMI doit répondre

Étant donné que le Liban s’est historiquement appuyé sur la taxation indirecte pour générer des revenus — et que moins de 50 % des entreprises opèrent dans le secteur formel — le FMI doit répondre clairement à deux questions fondamentales s’il souhaite réellement servir l’intérêt du pays :

- D’où viendront les recettes nouvelles ?

- Par où commencera l’austérité ?

Car si les méthodes actuelles de génération de revenus posent problème, les priorités de dépense ne sont pas moins discutables. Un exemple frappant : le décret n°275 fixe la rémunération mensuelle forfaitaire du président de l’Autorité de régulation des télécommunications à 716 millions de livres libanaises (environ 8 000 dollars), et celle de chaque membre du conseil d’administration à 626,5 millions de livres (7 000 dollars) — et ce, avant toute réforme du secteur public ou des salaires des fonctionnaires.

On n’avait pas promis au Liban l'austérité !