Près de cinq ans se sont écoulés depuis que le président américain Donald Trump a tenté de faire passer ce qu’on a appelé les « Accords d’Abraham » ou « le Deal du Siècle », censé instaurer une « paix durable » dans la région entre Israël et les pays arabes, notamment ceux du Golfe.
En 2020, à l’approche de la fin de son premier mandat, Trump cherchait à obtenir un succès en politique étrangère pour soutenir sa réélection. À l’époque, Benyamin Netanyahou était lui aussi au pouvoir en Israël. Durant l’été de cette même année, Trump a accéléré les démarches, sentant monter la pression face à son adversaire démocrate Joe Biden. Entre septembre et décembre, il parvient à faire signer des accords de normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et le Soudan.
Mais ces accords n’ont pas porté leurs fruits pour deux raisons majeures : l’arrivée de Biden à la Maison-Blanche, qui tout en soutenant les accords, ne les a pas vraiment activés ; et surtout, l’absence de progrès sur la question palestinienne, cause centrale pour les Arabes, sans laquelle une paix globale reste impossible.
L’électorat américain n’ayant pas accordé beaucoup d’importance à ces accords, Trump perd les élections. Il reprend cependant ses efforts avec encore plus d’enthousiasme, voulant incarner l’homme de paix au Moyen-Orient et dans le monde.
Fondamentalement, les Accords d’Abraham sont des ententes de normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes, en commençant par les États du Golfe, dans l’espoir qu’ils suivent l’exemple de l’Égypte et de la Jordanie, mais avec une normalisation plus profonde.
L’attachement arabe à l’Initiative de paix
La majorité des pays arabes, et en premier lieu l’Arabie saoudite, restent attachés aux résolutions internationales et à celles du sommet de Beyrouth de 2002, notamment « l’Initiative de paix arabe », qui propose une normalisation avec Israël uniquement après la création d’un État palestinien. Trump, à l’inverse, a cherché à inverser la logique, misant sur des accords avec les pays arabes afin de faire pression sur les Palestiniens pour accepter une solution imposée.
Mais lors de sa dernière visite dans la région, Trump semble avoir compris que la situation était bien plus complexe. La réussite passe inévitablement par une avancée sur le front palestinien : d’abord un cessez-le-feu à Gaza, puis la reconstruction.
Aujourd’hui, les accords entre Israël et les quatre pays arabes signataires sont quasiment gelés. Leur objectif initial — réduire les tensions régionales et établir de nouveaux partenariats — s’est effondré. Ils promettaient des avantages stratégiques, une protection contre l’Iran, des transferts technologiques, des opportunités économiques… qui devaient aussi profiter à Israël.
L’élan interrompu par le « Déluge d’Al-Aqsa »
Les relations entre Israël et les pays signataires s’étaient renforcées jusqu’au 7 octobre 2023, date de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa ». Cette même année, des délégations de haut niveau s’étaient échangées, des dialogues interreligieux avaient été lancés, et la coopération commerciale, académique et sécuritaire avait connu une expansion sans précédent.
Les responsables américains et israéliens parlaient d’un grand succès. Les échanges commerciaux dépassaient les 4 milliards de dollars, avec une croissance annuelle de 16 %. Rien qu’au cours des trois premiers trimestres, les échanges avaient augmenté de 24 %, avant de chuter de 4 % au quatrième. Si l’on ajoute les exportations israéliennes de gaz vers l’Égypte, d’eau et de gaz vers la Jordanie, ainsi que le commerce lié à la défense, aux services, aux logiciels et à la cybersécurité, la valeur réelle aurait dépassé les 10 milliards de dollars.
Des accords de libre-échange ont été signés, des vols directs ont été mis en place, des milliers d’Israéliens ont voyagé dans les pays signataires, même si peu de touristes de ces pays ont visité Israël.
À Abou Dhabi, la « Maison abrahamique » a été inaugurée. L’accord de partenariat économique global entre les Émirats et Israël est entré en vigueur. Des cadres de coopération multilatérale ont été établis, notamment le Forum du Néguev, ainsi que des rencontres entre les chefs de la cybersécurité et les conseillers en sécurité nationale. Des partenariats se sont élargis à l’Inde via le forum « I2U2 » et le lancement du corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe.
Le Maroc, lui, a cherché à obtenir une reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental. L’accord avec Israël a modifié les positions de certains acteurs internationaux influents, sous pression américaine. Toutefois, la coopération avec Israël est restée très limitée dans les domaines sécuritaire, économique, académique et humanitaire, avec un recul du tourisme.
Quant au Soudan, le pays a dû faire face à une guerre interne et à des troubles persistants. L’accord visait surtout à obtenir la levée des sanctions américaines, ce qui a été fait : Washington a retiré le Soudan de la liste des pays soutenant le terrorisme.
Pour Bahreïn, Manama n’a jamais officiellement annoncé son retrait des accords, malgré l’expulsion de l’ambassadeur israélien et la rupture des liens économiques. Certaines coopérations, notamment sécuritaires, se poursuivent.
L’hésitation saoudienne et le cas syrien
Mais l’élan s’est effondré après l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », qui visait notamment à saper l’ensemble des Accords d’Abraham. Depuis, l’enthousiasme s’est estompé, aussi bien dans les rues que dans les cercles officiels. Les tentatives de Trump d’intégrer l’Arabie saoudite et la Syrie à cette dynamique ont échoué.
L’Arabie saoudite, acteur central du monde arabe, reste attachée à l’Initiative de paix arabe portée à l’époque par le roi Abdallah. Riyad ne semble pas pressée de s’engager dans cette voie tant que Netanyahou reste au pouvoir et que la guerre fait rage. De plus, le royaume dispose de nombreuses cartes géopolitiques dans la région (Iran, Syrie), sur la scène internationale (Chine, Russie), au sein de blocs mondiaux, et bénéficie d’une relation privilégiée avec Washington et Trump lui-même.
Pour faire bouger les lignes à Riyad, il faudra d’abord un cessez-le-feu, une reconstruction de Gaza, et une volonté réelle de paix de la part d’un partenaire israélien crédible, en l’occurrence la reconnaissance de l’Autorité palestinienne. Ce ne sont que les premiers pas nécessaires pour relancer le processus de paix. Sans cela, il ne peut y avoir de discussion sérieuse sur une normalisation. En clair : l’adhésion saoudienne est reportée.
Quant à la Syrie, son nouveau leadership fait face à des défis cruciaux avant d’envisager une normalisation avec Israël : la poursuite de l’occupation israélienne, sa réintégration dans le monde arabe, et la question palestinienne. Autant d’obstacles qui rendent son adhésion peu probable, même si le discours officiel reste ambigu. Pour Damas, il est préférable pour l’instant de récolter les fruits d’un assouplissement des sanctions, avec l’espoir d’une reconstruction, d’une reprise économique, et d’une stabilité politique — sans s’engager officiellement dans une normalisation.