Ce mois de mai – Israël célèbre sa fondation – a été marqué par ce qui peut être décrit comme un basculement diplomatique quasi mondial contre l’État hébreu. Et fait frappant : son plus fervent allié, les États-Unis, n’est pas resté totalement en marge de cette transformation, même si ce n’est qu’indirectement.

Ce changement marque le début d’une évolution dans la manière dont des alliés historiquement fidèles – comme le Royaume-Uni, la France ou le Canada – perçoivent et interagissent avec Israël. Ces pays, qui soutenaient jusqu’à récemment la politique israélienne presque sans réserve, durcissent désormais leur position, coïncidant avec la reprise de la guerre à Gaza.

Une indignation populaire qui met les gouvernements dans l’embarras

Au lendemain de l'opération « Déluge d’Al-Aqsa » lancée par le Hamas le 7 octobre 2023, l’opinion publique mondiale penchait en faveur d’Israël. La couverture médiatique des premières violences avait suscité une large sympathie pour la partie israélienne. Mais au fil des jours, alors que les images de bombardements intensifiés et indiscriminés contre les civils palestiniens dominaient les unes, le sentiment général a évolué. Cette indignation grandissante, notamment au sein de l’opinion publique, a commencé à exercer une pression considérable sur les gouvernements traditionnellement pro-israéliens.

Malgré les protestations massives et les critiques croissantes, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a poursuivi sa ligne dure, ignorant même les objections américaines et créant un malaise palpable à Washington. Mais un tournant est survenu avec l’élection du président républicain Donald Trump.

D’abord discret, ce revirement a pris de l’ampleur à mesure qu’Israël reprenait son offensive contre Gaza après une trêve temporaire avec le Hamas. La guerre, de plus en plus dépourvue de justification politique, même aux yeux de Trump, s’est transformée, pour beaucoup, en un enchaînement de massacres quotidiens. Le silence global devenait alors scandaleux.

Des manifestations massives ont à nouveau éclaté en Occident – non pour soutenir le Hamas, mais pour exiger la fin de ce que beaucoup considèrent désormais comme une guerre insensée. Même en Israël, les sondages d’opinion ont montré qu’une majorité d’Israéliens était favorable à un échange de prisonniers – quitte à arrêter la guerre. Pour la première fois depuis des décennies, les actions israéliennes provoquaient une rupture tangible avec leur allié principal.

Alors que la défiance de Netanyahou éloignait l’administration Trump, les voix occidentales se faisaient plus audibles, reprenant l’indignation de leurs citoyens. Des déclarations politiques fermes, fondées sur le droit international, qualifiaient désormais les actions israéliennes de violations. Suivirent des appels à réévaluer les relations bilatérales, à suspendre ou annuler les coopérations militaire et économique, voire à imposer des sanctions.

Ce qui a véritablement alarmé Netanyahou, c’est que la contestation ne venait plus seulement de la société civile, des syndicats ou des médias – elle atteignait désormais les parlements et les gouvernements.

L’Europe brise le silence

Six pays européens – l’Irlande, l’Espagne, la Slovénie, le Luxembourg, la Norvège et l’Islande – ont condamné la tentative israélienne de modifier la démographie de Gaza, qualifiant cela de « transfert forcé » et de « crime » au regard du droit international. Ils ont également dénoncé le blocus israélien en vigueur depuis le 2 mars, qui empêche toute aide humanitaire ou acheminement commercial.

La France, de son côté, a intensifié sa pression diplomatique en appelant à un cessez-le-feu immédiat, à la levée du blocus et à une facilitation effective de l’aide humanitaire vers Gaza. Paris a aussi annoncé l’organisation prochaine d’une conférence internationale en vue d’une reconnaissance pleine d’un État palestinien, espérant rallier à cette initiative des soutiens traditionnels d’Israël comme le Royaume-Uni et le Canada – une dynamique qui semble déjà en cours dans plusieurs capitales occidentales.

Le Royaume-Uni a annulé les négociations de libre-échange avec Israël, suspendu des exportations d’armes prévues, convoqué l’ambassadrice israélienne Tzipi Hotovely pour une remontrance officielle, et imposé des sanctions à l’encontre de plusieurs colons israéliens. Le Royaume-Uni, qui fut pourtant à l’origine de la création d’Israël, laisse entendre d’autres mesures diplomatiques à venir – un revirement majeur.

L’Allemagne, autre alliée historique, a exprimé des inquiétudes sur la situation humanitaire et appelé à un cessez-le-feu. Les Pays-Bas ont lancé une campagne pour annuler leur accord de partenariat avec Israël. Même le gouvernement italien, pourtant très à droite, a condamné les actions israéliennes sous la pression intérieure. L’Espagne, lors d’une réunion récente du « Groupe de Madrid » réunissant des représentants arabes, européens et latino-américains, a demandé un embargo total sur les armes à destination d’Israël et plaidé pour la solution des deux États.

Quant à l’Union européenne, elle examine actuellement l’avenir de ses relations commerciales avec Israël.

Entre finance et déplacement forcé

Tous ces mouvements ne relèvent pas du hasard. Ils traduisent un réalignement régional et international en cours – avec l’aval implicite des États-Unis – en faveur d’un règlement politique global au Moyen-Orient. Au cœur de cette dynamique : la solution des deux États, longtemps repoussée. La guerre à Gaza, qui s’enlise dans une impasse militaire, a politiquement acculé Netanyahou, laissant Israël plus isolé que jamais.

Le Premier ministre israélien est désormais engagé dans une course contre la montre. Alors que la guerre approche de sa deuxième année sans avoir atteint ses objectifs, le sol semble se dérober sous ses pieds.

Mais jusqu’où peut aller cette nouvelle dynamique diplomatique ?

Il convient de noter que ces changements, émanant de soutiens traditionnels d’Israël, sont souvent présentés comme des tentatives pour préserver Israël lui-même – ou du moins les valeurs morales qu’il prétend incarner, et que Netanyahou est accusé de trahir. En parallèle, le débat intérieur israélien est de plus en plus alimenté par la crainte que la position stratégique du pays, dans la région et au-delà, ne s’effondre. Et cet effondrement aurait peut-être commencé avec la fracture croissante entre Netanyahou et le président Trump.

Trump cherche une stabilité régionale sans guerre – propice à l’investissement, à la croissance et à la prospérité, y compris pour les États-Unis. La poursuite de la guerre par Netanyahou est désormais perçue comme un obstacle direct à cette vision d’un nouvel ordre régional fondé sur le capital et la paix.

Entre le modèle américain de développement et de normalisation – qui passe par un accord avec les Palestiniens – et l’insistance israélienne sur la guerre et les déplacements de population, le fossé se creuse. Israël risque désormais de manquer le train américain.

Ce constat est d’autant plus crucial que l’année prochaine s’annonce déterminante. C’est alors que doivent débuter les discussions avec Washington sur le renouvellement d’un accord d’aide sécuritaire majeur – un contrat annuel de 3,8 milliards de dollars en armes sophistiquées, munitions et protection stratégique.

Au lieu de consolider ses acquis stratégiques avec son allié principal et son parrain historique, Israël se retrouve aujourd’hui confronté à de nouveaux coups diplomatiques, à la chute des investissements et à une isolement grandissant, avec un gouvernement divisé et un statut d’État paria plus prononcé que jamais.