Extrait du livre récemment publié « Le XXIe siècle : une époque en quête d’identité » du Dr Manaf Mansour — ancien directeur général du ministère de l’Information et conseiller à la Présidence de la République — ce passage est tiré du chapitre intitulé « Au-delà de l’intégration développementale et de la solidarité sociale ».
Deux dimensions fondamentales ont jusqu’ici façonné notre vision civilisationnelle :
- La quête de l’idéal ou de l’absolu (visible dans les traditions religieuses et classiques)
- La recherche de soi (reflétée dans les courants romantiques, symboliques, surréalistes, existentialistes, impressionnistes et dialectiques)
Mais avec le progrès scientifique et l’évolution technologique, un sentiment croissant de désillusion s’est installé. Ni l’idéal seul ni l’individualisme pur ne suffisent plus. C’est ce constat qui m’a conduit, dès les années 1970, à appeler à l’émergence d’une nouvelle dimension civilisationnelle : une voie vers un avenir civique moderne, libéré :
- De la dégradation du politique, réduit à une logique de « contrat » où la démocratie devient caprice et la justice, simple opinion
- Des crises économiques et financières récurrentes
- De l’écart grandissant entre l’épuisement de la pensée, de l’art, de la philosophie, de la poésie, et la suprématie des sciences et des technologies
Dans mon ouvrage « La mentalité de la modernité arabe : à la recherche de la troisième dimension » (1986), j’ai affirmé que ce sentiment de frustration vient du fait que l’homme a prouvé qu’il pouvait reproduire la nature… puis la dépasser.
Dans une autre section, intitulée « Le Moyen-Orient à venir : continent de Dieu ou continent de sang », je concluais :
« Toute civilisation s’autodétruit lorsqu’elle se prend pour la vie elle-même. La vie perdure. La civilisation disparaît. Tu ne possèdes rien, tout est en toi. Marche toujours vers la terre que nul n’a encore bâtie. Ne fais pas de ton cœur un cimetière pour les anciens. Sois vivant dans la mémoire des générations à venir. Car la plus grande œuvre de la vie est de devenir une idée vivante qui la prolonge. Tout, dans la vie, tend à devenir idée. »
Dans « Le Moyen-Orient : de l’invisible a l’inconscience» (2019), j’ai analysé le passage de l’État fondé sur l’identité à celui fragmenté en composantes communautaires, et j’ai appelé à une aventure d’intégration et de solidarité face à la montée du « néo-tribalisme » en posant la question : « Le néo-tribalisme est-il l’idéologie du XXIe siècle ? »
Tout comme le Liban fut pionnier de la modernité — idées libérales, mode audacieuse, gratte-ciels — il est désormais en position de participer à la refondation du Moyen-Orient.
De l’accord Sykes-Picot de 1916 à la création d’Israël en 1948, les mandats français et britanniques ont tenté de faire passer les pays du Levant du statut de province ottomane à celui d’État-nation moderne.
Après 1948, les mouvements d’indépendance ont fleuri sans pour autant atteindre une souveraineté pleine — donnant naissance à l’idée paradoxale que « devenir indépendant, c’est devenir moins ». Un paradoxe renforcé par l’ascension puis l’éclatement du panarabisme, influencé par l’Occident et les élites locales, notamment au Liban, en Égypte et en Syrie.
Au début du XXIe siècle, deux dynamiques majeures ont traversé le monde arabe :
- L’expansion de l’influence iranienne en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et à Gaza
- L’explosion du « Printemps arabe », ou ce que certains ont appelé le « chaos créatif »
Si l’ambition régionale de l’Iran a contribué à accélérer la normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes, le Printemps arabe a permis :
- De déconstruire le mythe du « leader éternel »
- D’affaiblir les armées arabes
- De détruire le modèle de l’État centralisé et institutionnalisé
L’assassinat du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et de la majorité des cadres politiques et militaires du parti, suivi par l’adhésion du Hezbollah et du mouvement Amal à la résolution 1701 de l’ONU (et ses annexes), approuvée par le gouvernement intérimaire, ont marqué la fin d’une ère entamée en 2000.
L’élection du général Joseph Aoun à la présidence le 9 janvier 2025, et la nomination du juge Nawaf Salam à la tête du nouveau gouvernement, ont symbolisé l’entrée du Liban dans une nouvelle phase : celle de l’édification de l’« État civil moderne » et de la reprise de son rôle régional et international.
La mise en œuvre intégrale de la résolution 1701 signifie le retrait de l’influence iranienne du Liban, comme cela s’est produit en Syrie après la formation du nouveau gouvernement syrien le 8 janvier 2025.
Le Liban s’oriente désormais vers :
- La sortie du cycle des tutelles régionales successives
- Le renforcement de son unité interne
- La reconquête de son rôle historique — d’abord comme trait d’union entre les cultures de l’Orient, puis entre l’Orient et l’Occident
Ainsi, l’expérience libanaise d’intégration pourrait devenir un modèle pour une coopération pluraliste au niveau du Moyen-Orient.
Dans cette nouvelle dynamique, le Liban est appelé à jouer un rôle de :
- Pôle culturel et éducatif
- Centre des médias et de la cybersécurité
- Acteur clé en matière de finance, de tourisme et d’innovation économique
En somme, la relance du Liban repose sur un triptyque stratégique : sécurité, développement et positionnement. À défaut, il resterait une « décharge » pour les crises régionales — une arène de discorde intérieure — tandis que le Moyen-Orient demeurerait un champ de guerre fermé dans un bloc supposément ouvert.