À l’heure où l’économie libanaise traverse la plus grave crise structurelle de ces dernières décennies, la conférence intitulée « Exploiter les secteurs économiques prometteurs au Liban », organisée par le Lebanese Center for Policy Studies (LCPS) en partenariat avec la Fondation Friedrich Naumann (FNF), s’est imposée comme une étape charnière pour repenser les trajectoires de croissance possibles et proposer une lecture réaliste des secteurs susceptibles de devenir de nouveaux moteurs économiques pour le pays.

Tenue à Beyrouth le 27 novembre, la conférence a réuni ministres, experts, responsables politiques, économistes et acteurs de la société civile, dans une tentative de sortir du cercle des diagnostics traditionnels et d’évoluer vers des approches concrètes capables de répondre aux défis et de restaurer la confiance perdue.

Des contraintes structurelles qui encerclent l’économie… et une urgence de nouvelles voies de croissance

La conférence s’est appuyée sur une année complète de recherches portant sur trois secteurs clés :

– L’agroalimentaire

– Les industries culturelles et créatives

– L’industrie pharmaceutique

Les discussions ont convergé vers un constat unique : ces secteurs disposent d’un fort potentiel de croissance, mais demeurent entravés par des défis structurels profonds, qui nécessitent des décisions claires et des réformes institutionnelles urgentes.

Dans son allocution d’ouverture, le ministre de l’Économie et du Commerce, Amer Bsat, a souligné la nécessité de passer d’une économie rentière fragile à une économie productive et compétitive. Il a affirmé que le Liban dispose des ressources humaines et d’un secteur privé capable de se redresser, à condition qu’il existe une véritable volonté de réforme et de reconstruction des institutions.

Pour sa part, Mohammad Allem, président du conseil d’administration du Lebanese Center for Policy Studies, a insisté sur l’importance de données fiables, estimant que toute politique publique qui ne repose pas sur des informations précises reste incomplète, voire inefficace.

De son côté, Christoph Kleemann, directeur de la Fondation Friedrich Naumann, a rappelé que l’entrepreneuriat libanais a démontré sa capacité de résilience malgré les crises successives, tout en soulignant que sa pérennité dépend d’un environnement institutionnel capable de protéger les initiatives et de faciliter leur développement.

Le secteur agroalimentaire : de la résilience à la compétitivité

La session consacrée au secteur agroalimentaire s’est penchée sur les moyens de le faire passer du stade de la « résilience » à celui de la « compétitivité », face à des crises accumulées telles que :

– Une inflation élevée pesant sur la production

– La fragmentation des terres agricoles

– L’absence de traçabilité et de normes

– Le manque d’infrastructures de tests et de contrôle de qualité

– Le vieillissement de la main-d’œuvre rurale

Les participants ont abouti à un ensemble de solutions, parmi lesquelles :

– L’amélioration de la traçabilité des produits afin d’élever la qualité et de renforcer les opportunités d’exportation

– Le développement des laboratoires et des certifications de conformité

– La réduction des pertes post-récolte grâce à la modernisation des services logistiques

– L’intégration des énergies renouvelables et du numérique dans les chaînes de production

Ils ont souligné que la qualité des produits pourrait devenir une « marque libanaise distinctive » si elle s’accompagne d’un cadre logistique et institutionnel adéquat.

Les industries culturelles et créatives : l’économie de l’identité et une occasion manquée

Les industries culturelles et créatives ont occupé une place centrale dans la conférence, en raison de leur capacité à créer des emplois et à consolider l’identité libanaise. Les débats ont mis en lumière plusieurs défis majeurs, notamment :

– L’absence d’un cadre institutionnel clair

– Une fiscalité élevée entravant les entrepreneurs et les créateurs

– L’émigration des talents

– Un manque criant de données nécessaires à l’élaboration des politiques publiques

Parmi les solutions avancées figuraient :

– La création d’une autorité nationale unifiée pour le secteur

– La simplification des procédures administratives pour les artistes et les entreprises créatives

– Le soutien à la transformation numérique des médias et des festivals

– L’adoption de politiques visant à accueillir, soutenir et protéger les jeunes talents

Les intervenants ont convenu que la créativité peut devenir un secteur économique à part entière, à condition de bénéficier d’une infrastructure institutionnelle solide et d’un environnement d’investissement clair.

Le secteur pharmaceutique : une réussite technique en quête d’un cadre réglementaire solide

Le secteur pharmaceutique s’est distingué comme l’un des plus aptes à la croissance, après avoir démontré, durant la crise récente, sa résilience et ses capacités techniques. Toutefois, des obstacles majeurs freinent encore son expansion, parmi lesquels :

– L’absence d’un cadre réglementaire moderne

– Des laboratoires insuffisamment équipés pour une reconnaissance internationale

– Des procédures d’enregistrement et de fixation des prix peu claires

– Des difficultés à l’exportation et une faible intégration aux marchés régionaux

Les solutions proposées par les experts comprenaient :

– La numérisation des autorisations pharmaceutiques

– La modernisation des laboratoires nationaux

– L’établissement de mécanismes transparents de tarification et d’enregistrement

– Le développement de partenariats entre l’industrie, la recherche scientifique et les universités

– La valorisation de l’expertise des diasporas libanaises actives dans les industries pharmaceutiques mondiales

Un dénominateur commun aux trois secteurs : la qualité avant tout

Malgré la diversité des secteurs, tous les participants se sont accordés sur le fait que la qualité constitue la voie la plus rapide pour restaurer la compétitivité libanaise, à travers :

– La mise à jour des normes et des systèmes de certification

– L’amélioration des services de tests et des laboratoires

– L’harmonisation des normes avec les grands marchés régionaux

– La simplification des procédures d’approbation et de délivrance des licences

Selon les participants, ces mesures pourraient permettre au Liban de réintégrer la carte des exportations, à condition qu’elles soient accompagnées d’un véritable soutien institutionnel.

Un modèle de planification pour la phase de redressement

Dans un entretien accordé à Al Safa News, l’économiste Dr Youssef Suleiman a estimé que la conférence offrait un modèle de ce que devrait être la planification économique durant la phase de redressement.

« Le Liban ne souffre pas d’un manque de potentiel, mais d’une faiblesse de la gouvernance et d’une absence de coordination institutionnelle. Les trois secteurs évoqués sont capables de créer de la valeur ajoutée et de générer des devises, mais ils nécessitent un cadre réglementaire transparent, une stabilité politique et une infrastructure de qualité. Si ces éléments sont réunis, ces secteurs pourraient, en l’espace de quelques années, constituer une base solide pour une croissance économique durable », a-t-il déclaré.

Pour conclure, Suleiman estime que le Liban se trouve aujourd’hui face à un choix clair : soit rester enfermé dans la spirale de l’effondrement, soit investir dans des secteurs productifs dotés de véritables avantages compétitifs.

Avec ces débats et ces recommandations, la conférence s’achève. Mais le chantier des réformes demeure ouvert, d’autant plus que l’avenir de l’économie libanaise dépend de la capacité de ses institutions à transformer les recommandations en politiques publiques, et les opportunités en une croissance réelle se traduisant par une amélioration tangible des conditions de vie des citoyens.